Marguerite
chemise, trempée de sueur, lui collait à la peau et la douleur ne lui laissait plus aucun répit. Mais elle reprit courage, sentant le dénouement proche.
Lorsqu’elle fut prête, la sage-femme remonta légèrement la chemise qui couvrait la jeune femme et posa sa main sur son ventre.
— Ça y est ma belle. Vas-y, pousse ! Allez, pousse fort !
Marguerite poussa en criant.
— C’est bien. J’aperçois sa petite tête. Vas-y, ordonna la sage-femme. Pousse, pousse encore !
— Pousse ! cria Emmélie.
— Vas-y ! l’encouragèrent Victoire et madame Boileau.
— C’est bien, ma mignonne, disait doucement Talham à son épouse tout en la maintenant fermement.
Trois poussées plus tard, un grand coup de tonnerre salua l’entrée dans le monde de Melchior Alexandre Talham. Le nouveau-né vagissait dans les mains de la Stébenne tandis que dehors, la pluie s’acharnait, transformant les chemins en une mer de boue. La sage-femme essuya grossièrement l’enfançon avant de le présenter { sa mère. Talham, plus ému qu’il ne l’aurait cru, retint difficilement ses larmes, soulagé.
Marguerite s’en était bien tirée et l’enfant était vigoureux.
— Ton fils est beau comme le jour, ma mie, dit-il à sa femme après que la Stébenne eut coupé et noué le cordon.
— Ton petit est né coiffé, déclara la sage-femme en essuyant délicatement la tête de Penfantelet. On dit que ça porte chance.
Elle soupesa l’enfant. «Je dirais qu’il pèse un bon gros huit livres. Étonnant pour un petit six mois, ajouta-t-elle avec un clin d’œil. »
Elle tendit le léger fardeau à Talham.
— Prenez donc soin de votre fils, docteur, pendant que nous, les femmes, on s’occupe de la délivre.
Et elle déposa l’enfançon dans les bras de Talham.
— Mon fils, répéta-t-il.
Il contempla la petite chose vagissante, étreint par une curieuse émotion. A cause de cet enfant, il était devenu l’époux de Marguerite.
Puisque la sage-femme prétendait que l’enfant était gaillard, il resta indifférent aux pleurs du paquet hurlant qu’il tenait maladroitement. Il pensa surtout aux suites de la délivrance de Marguerite, s’inquiétant maintenant des fièvres meurtrières dont souffraient parfois les nouvelles accouchées.
La sage-femme exigea ensuite qu’Emmélie et Monsieur Boileau se retirent.
— Jeune fille, vous avez plus d’affaire icitte. Quant {
vous, dit-elle en désignant le bourgeois, vous pouvez être rassuré. Cet enfant-là est assez fort pour attendre le baptême jusqu’{ demain matin, mais lui faites pas voir la lumière avant qu’il reçoive l’eau bénite, sinon, le diable pourra prendre possession de son âme.
Boileau ignora les dernières paroles de la bonne femme - les superstitions choquaient habituellement son esprit scientifique -, trop heureux de quitter la pièce surchauffée. Il entraîna sa fille { l’étage.
— Montons à la chambre de compagnie. Talham doit bien avoir du bon porto caché dans ses armoires.
Mais Emmélie, singulièrement émue par cette naissance
{ laquelle elle venait d’assister, contemplait le nouveau-né, s’émerveillant qu’il soit si petit.
— La naissance est un miracle du bon Dieu, dit simplement son père, qui voyait l’émotion de sa fille. Allez, suis-moi avant que cette sacrée bonne femme ne se remette à morigéner.
— Vous avez raison, père, comme toujours, répondit la jeune fille se ressaisissant. Je vous suis.
Pendant ce temps, la sage-femme et madame Boileau s’affairaient avec compétence, écartant Victoire qu’elles obligèrent { se rasseoir. L’arrière-faix s’expulsa facilement.
La sage-femme s’occupa de faire disparaître les sanies dans l’âtre et brûla les linges, trop souillés pour être récupérés.
Ensuite, madame Boileau entreprit de faire la toilette de l’accouchée.
— Réjouissez-vous, madame Lareau, dit-elle en s’adressant à Victoire tout en passant à Marguerite une chemise fraîche, vous voilà grand-mère.
La dame démêla les longs cheveux de l’accouchée avant de les natter et de lui faire mettre un bonnet propre.
Marguerite se laissa aller au plaisir de se faire dorloter et d’être l’objet de tant de soins de la part de sa tante.
Une fois son épouse rafraîchie, Talham déposa dans les bras de sa mère le nourrisson qui pleurait énergiquement.
Marguerite examina longuement les traits de son fil. À qui ressemble-t-il ? se demanda-t-elle avec une certaine
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