Marguerite
sueurs froides, nous serons tous heureux de nous dégourdir sur la terre ferme. En attendant ce moment béni, marchons un peu pour nous réchauffer : on gèle, ce matin !
— Ce satané vent ! marmonna Blythe. J’en suis au point où je préférerais monter dix fois de suite la rude côte de la Montagne, à Québec, plutôt que d’endurer encore ces rafales continuelles !
— Mais nous nous plaindrions bien davantage s’il n’y en avait pas, répliqua Boileau. La traversée a été rapide et il faut nous en souhaiter autant afin d’arriver { bon port.
— Vous êtes un philosophe, monsieur Boileau, ironisa aimablement Blythe, mais vous avez raison. Vivement les hauteurs de Québec! Alors, marchons. Marchons et. .
endurons !
En riant, les deux hommes se mirent à arpenter le pont.
D’autres passagers bravaient aussi le vent plutôt que de rester enfermer dans leurs cabines. Ils croisèrent Lady Johnson, la femme de Sir John, seigneur de Monnoir, bien emmitouflée. Elle ramenait sa famille au pays. Son père lui avait appris les projets de Sir John Johnson, se souvint René.
Il construirait une vaste demeure en pierres à Pointe-Olivier, sur une terre qu’il possédait { l’embouchure de la rivière des Hurons. En saluant avec beaucoup d’égards la dame - son mari aurait certainement besoin d’un notaire de la région pour ses affaires -, le couvre-chef de feutre de castor de Boileau faillit s’envoler. Ce dernier regrettait ne pas avoir apporté dans ses bagages un de ces bonnets de laine si communs au pays. Sa longue chevelure brune, qui autrefois lui gardait le cou au chaud, avait été sacrifiée aux impératifs de la mode masculine européenne. Une moitié de visage cachée dans une écharpe de laine, il s’emmitouflait du mieux qu’il le pouvait dans son nouveau manteau acheté
{ Londres, d’une parfaite élégance, mais bien trop mince pour un voyage comme celui-ci.
— Vous avez passé une année entière en Europe, me disiez-vous l’autre jour ? fit Blythe.
— J’ai visité l’Angleterre, mais la région de Londres surtout. Par contre, j’ai parcouru une grande partie de la France et j’ai séjourné { Paris plusieurs semaines. Pour nous, la France et l’Angleterre sont des pays. . comment dirais-je, presque mythiques !
Cette réflexion fit sourire Blythe pendant que Boileau poursuivait la description de ses impressions. L’Angleterre l’avait fasciné avec ses grandes institutions, ses vertes campagnes et ses ports grouillants. Il s’y était senti curieusement
{ l’aise, presque chez lui, même s’il avait trouvé les Londoniens plutôt distants. Mais dès qu’il avait posé le pied en France, une émotion profonde l’avait secoué, indicible, inexplicable. C’était le pays de ses ancêtres. Le premier Boileau, son arrière-grand-père, s’était embarqué {
La Rochelle un siècle et demi auparavant. Les Parisiens s’étaient révélés bien aimables pour donner une direction au pauvre étranger canadien égaré dans le dédale de leurs rues innombrables et leurs boulevards bien entretenus, malgré une carte de Paris dont il avait fait l’emplette dès son arrivée dans la capitale française. La vie européenne lui était parue parfois bien étrange.
— Chambly m’apparaît maintenant comme un modeste havre civilisé au cœur d’une région encore sauvage lorsque je repense { tous ces vieux monuments que j’ai pu voir, toujours debout, malgré les saccages de la Révolution. Les vieux pays d’Europe sont si étonnants. On se perd dans les grandes villes. Chez nous, nul besoin d’une carte ou d’un plan pour se déplacer à Montréal ou à Québec !
Outre ces différences, avait-il également noté dans son journal de voyage, partout, les gens se ressemblaient. Les parades et le spectacle charmant de la foule et des jolies femmes dans leurs belles toilettes - qui étaient là pour être vues - évoquaient { s’y méprendre les coquettes de la belle société des villes canadiennes.
— Mais après un aussi long voyage, vous devez être impatient de retourner chez vous ?
— Certes, monsieur Blythe, j’ai bien hâte de trouver ma famille en bonne santé, mais aussi d’ouvrir mon étude de notaire à Chambly. Vous savez que dès mon arrivée à Québec, j’ai l’intention de faire ma demande de pratique et j’espère même obtenir une commission élargie.
— Une commission élargie, dites-vous ?
— Oui, qui me permettra d’exercer partout
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