Marguerite
fils souhaite revenir vivre à Chambly.
— Vous croyez? s’était étonné Rouville, dubitatif. Est-ce réellement son désir ou est-ce plutôt le vôtre ?
— Si je me rappelle, vous souhaitiez ne plus le voir sous notre toit? Je vous offre une solution convenable.
Rouville avait répondu par un regard chargé de ressen timent. L’avenir de leur seul fils provoquait toujours les pires disputes. Le seigneur avait renoncé { ce qu’Ovide se forge le caractère en acceptant une charge civile, pourtant si facile { obtenir lorsqu’on appartenait { la noblesse. Son fils unique le décevait. Mais l’avoir { l’œil était peut-être un bon moyen pour qu’il finisse par s’amender. Entre-temps, le colonel de Rouville décida de revoir ses dispositions successorales pour retarder le plus longtemps possible la jouissance de l’apanage familial { son fils et tout confier à son épouse. Entre les mains d’Ovide, craignait-il, tout serait rapidement dilapidé. Malgré la froideur de leurs rapports conjugaux, il était persuadé que madame de Rouville saurait gérer le patrimoine des Rouville pour le mieux.
Ignorant tout des humeurs testamentaires de son père, l’héritier Rouville arriva en vue de Pointe-Olivier. Le cœur du village s’élevait sur le coteau d’une pointe de terre qui s’avançait en contrebas dans la rivière. Ovide aperçut au loin le clocher de la belle église de La-Conception-de-la-Pointe-Olivier, surmonté d’une croix de fer et d’un coq orgueilleux, qui se dressait fièrement au milieu de ce coteau.
L’église faisait l’orgueil des villageois avec ses deux chapelles et son tabernacle doré. Un vieux presbytère-chapelle faisait face { l’église, de l’autre côté du chemin du Roi. Le curé Robitaille y habitait avec ses parents. Près de l’église se trouvait la plus importante maison du village ; elle appartenait au marchand Pierre Brunet. Les autres voisins s’appelaient Davignon, Vigeant ou Ostiguy, autant de noms d’illustres familles pionnières de la région. Plus loin, au sud de l’église, la rivière des Hurons se jetait dans le bassin de Chambly. Près de son embouchure se dressait un manoir de pierres tout neuf, appartenant à Sir John Johnson, en tout point conforme dans ses formes et ses dispositions à Johnson Hall, une prestigieuse demeure que cette famille de loyalistes avait abandonnée dans la région de la rivière Mohawk, dans l’Etat de New York. Depuis son exil au Canada, le baronnet John Johnson était devenu le surintendant des Affaires indiennes.
Sir John était surtout l’ennemi juré de Rouville depuis la bataille de fort Stanwix, en 1777, où les deux hommes avaient combattu côte à côte, mais en se détestant.
L’Américain avait acheté des héritiers de la famille de Ramezay une seigneurie voisine des fiefs des Rouville, celle de Sainte-Marie. Avec son « manoir », Johnson narguait les Rouville sur leur propre fief, allant jusqu’{ exploiter des moulins de la rivière des Hurons. C’était faire un impardonnable pied de nez { l’autorité seigneuriale de Melchior de Rouville. Sans compter qu’{ Pointe-Olivier, ]ohn junior terrorisait les femmes du village. Récemment, il avait séduit sa servante de seize ans, Catherine Shank. Sir John fermait les yeux. Il habitait rarement son manoir de Pointe-Olivier, vivant surtout à Montréal et sur les routes menant à ses nombreux domaines. Les crimes du jeune Johnson jetaient la disgrâce sur la région, et le père payait discrètement les pensions pour l’éducation des bâtards de son fils.
A
Pointe-Olivier,
l’homme
d’affaires
des
Johnson
était le notaire Médard Pétrimoulx. Avant de partir pour Québec, ce dernier avait fait parvenir à Ovide un étrange message.
Etant donné les nombreuses occupations de votre père, le colonel
de Rouville, j'ai pensé demander votre aide pour démêler l’écheveau successoral de votre famille, lui avait-il écrit. Auriez-vous quelques heures à me consacrer ? Je pourrai, en échange, vous rendre certainement quelques services.
Intrigué par cette invitation sibylline, Ovide avait annoncé sa visite. Pourquoi Pétrimoulx s’intéressait-il aux affaires de sa famille ? Il est vrai que la plupart de ses clients, des habitants de Pointe-Olivier, étaient aussi les censitaires de son père. Mais Melchior de Rouville se méfiait du notaire de Pointe-Olivier { qui il trouvait la mine d’un carnassier guettant sa proie, répétant {
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