Marguerite
comprends. Elle a des yeux, hum, des yeux beaux à faire damner un saint !
— Son prénom, demanda Boileau d’une voix étranglée.
Quel est son prénom ?
— Je ne sais plus, hésita Louis-Michel. Madeleine, je crois. Non, ce n’est pas Madeleine.
Viger fouillait vainement sa mémoire.
— Marguerite ? suggéra Boileau dans un murmure.
— C’est bien ça, confirma Viger en tuant net l’espoir fou de Boileau.
René se leva péniblement, comme foudroyé. Il appuya son front sur le rebord du manteau de la cheminée. Il avait envie de hurler de rage. Il ressentit une immense déchirure, puis un désespoir incommensurable. Ebahi, Viger observait son ami, subitement accablé par une nouvelle somme toute banale, surpris d’avoir causé un tel maelstrom d’émotions.
— Ton secret, comprit-il, soudainement navré. C’était elle?
Pour toute réponse, René enfouit son visage dans ses mains, effondré.
*****
Françoise Bresse fit interruption dans la petite étude de René Boileau - un cabinet situé au rez-de-chaussée de la maison familiale - sans y être invitée. Très élégante, elle portait une ravissante capote bleue, qui faisait ressortir à merveille ses yeux noirs, assortie { un spencer qu’elle exhibait fièrement, œuvre des doigts de fée de la femme du docteur Talham. Depuis quelque temps, en effet, Marguerite prenait parfois des commandes, avec l’approbation complaisante de son mari. Ce dernier n’aimait pas tellement voir sa femme coudre pour d’autres dames - elle était l’épouse du docteur, après tout ! -, mais cela faisait tellement plaisir à Marguerite d’avoir cette occupation qu’il y avait consenti, à la condition qu’elle se limite { faire un ouvrage de temps en temps pour un cercle restreint d’intimes.
— Madame Bresse, quelle surprise ! fit le notaire. Mais asseyez-vous. Votre mari n’est pas avec vous ? s’étonna René lorsqu’il constata que Françoise était seule.
— Emmélie m’a dit que je vous trouverais ici, fit la dame en jetant un regard circulaire dans la petite pièce.
Outre la bibliothèque qui contenait une centaine d’ouvrages, elle remarqua la magnifique écritoire en bois d’acajou posée sur la table de travail du notaire, un souvenir de voyage.
— Que puis-je faire pour vous ? demanda-t-il, dissimulant sa curiosité derrière un ton impersonnel.
La présence d’une femme chez un notaire était exceptionnelle, { moins qu’il ne s’agisse d’une veuve. Une femme venait avec son mari lorsque ce dernier avait besoin d’elle pour une signature sur certains contrats, comme l’exigeait la Coutume de Paris. Sinon, elle se présentait avec son père et, bien souvent, avec toute sa famille au moment de la signature du contrat de mariage. Que pouvait donc vouloir madame Bresse ?
— Mon mari m’a demandé de venir vous voir. Une simple affaire de signature.
Le notaire fouilla un instant dans sa mémoire.
— Ah, oui ! Je me rappelle, avoua René. Comment ai-je pu oublier? Vous m’en voyez désolé.
Il se retourna vers un meuble fermé à clé qui se trouvait derrière lui et en retira un document.
— Voil{. Mais j’avoue que cet accroc { la procédure m’embête, madame Bresse, la réprimanda gentiment le notaire. Vous auriez dû être présente { la lecture de l’acte, au moment où toutes les parties y étaient. Heureusement que l’acheteur n’y voit aucun inconvénient et qu’il a une totale confiance en votre mari. Bon, reprit-il, ces choses étant dites, je vous en fait la lecture.
— Je sais tout cela, notaire Boileau. Et inutile de vous ennuyer { relire ce que vous avez déj{ lu plus d’une fois. Comme cet acheteur, j’ai pleinement confiance en mon mari qui m’a déj{ tout expliqué. Je vais simplement signer.
— Puisque c’est ainsi.
Le notaire l’invita { prendre place devant l’écritoire en lui tendant une plume bien taillée. Françoise la trempa dans l’encre et s’exécuta.
— C’est fait. Je note que vous ferez un excellent notaire, ajouta-t-elle, condescendante.
Elle se leva et s’apprêta { repartir. Au moment de franchir la porte, elle se retourna.
— Monsieur Boileau, vous avez décliné mes dernières invitations. Je m’en désole. J’en suis même vexée.
— Veuillez alors accepter toutes mes excuses, dit le notaire. Je m’en veux de vous décevoir { ce point. Mais voyez-vous, je commence dans la profession et je m’applique pour contenter mes clients. Le notaire Leguay
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