Marguerite
d’amabilité.
Abrutie par le laudanum qui commençait à faire effet, Françoise opina, le bonnet de coton de travers.
— Et avez-vous choisi son compère ? demanda-t-elle en ramassant ses dernières forces.
— Ce sera le jeune Boileau, notre notaire. Qu’en dites-vous ? Ce compérage pourrait être le présage d’une heureuse union, ajouta-t-il, amusé par l’idée d’un mariage entre René Boileau et Marie-Josèphe Bédard.
Le docteur ignorait évidemment tout des visées de madame Bresse qui, en pensée, avait déjà marié le notaire avec une de ses sœurs.
Derrière ce badinage mondain, Alexandre Talham dissimulait { peine lé bonheur qui l’habitait depuis qu’il savait Marguerite enceinte à nouveau. Son épouse resplendissait, fredonnant toute la journée, et la maison baignait à nouveau dans une atmosphère bienheureuse. Un instant, il apparut au docteur qu’il était un homme heureux.
— Il a accepté ? demanda Françoise, la bouche rendue pâteuse par le médicament.
— Le notaire ? Mais oui, bien entendu qu’il a accepté, répondit prestement le docteur. J’arrive de chez lui. Mais maintenant, il vous faut dormir, chère madame Bresse. C’est encore le meilleur remède pour se rétablir.
Françoise obéit en fermant les yeux. Malgré les vapeurs qui envahissaient peu { peu son esprit, elle ne put s’empê-
cher de penser que le docteur Talham était décidément un grand naïf, sinon il n’aurait jamais demandé au notaire Boileau d’être le parrain de son enfant. Les regards insistants que ce dernier avait pour madame Talham n’avaient pas échappé { l’œil averti de la dame. Le notaire semblait si amoureux qu’{ cette seule pensée, Françoise tressaillit. Elle ne pouvait oublier le regard désespéré de René Boileau lorsqu’elle lui avait révélé les dessous du mariage de Marguerite Lareau.
Elle allait sombrer dans un sommeil profond lorsque quelque chose d’anormal lui fit entrouvrir une dernière fois ses paupières alourdies par la drogue.
— Vous ne trouvez pas qu’il y a une drôle d’odeur ?
demanda-t-elle faiblement. Ce doit être encore la Perrine qui a fait brûler quelque chose à la cuisine, murmura-t-elle en s’endormant finalement, tandis que la cloche de l’église retentissait.
*****
Assis à sa table de travail, René Boileau contemplait son trébuchet. L’instrument, une petite pesée servant { déterminer le poids de la monnaie, conférait du prestige à sa profession - du moins, c’était ce qu’il croyait lorsqu’il pesait les pièces d’argent devant ses clients. Distrait, l’homme de loi cherchait à se concentrer pour terminer avant le souper les copies de deux expéditions d’un accord fastidieux sur l’entretien d’un fossé commun entre le forgeron James Wait et son voisin Jean-Baptiste Vïncelet. L’acte comportait de nombreux petits détails qui lui paraissaient insignifiants.
Mais comme il avait promis aux deux parties qu’on signerait demain, il fallait que les copies soient prêtes.
Depuis trois ans, René Boileau s’était taillé une belle réputation comme notaire du district de Montréal. Il était le seul à pratiquer au village de Chambly et son collègue le plus proche, Médard Pétrimoulx, venait d’installer son étude à Pointe-Olivier et soulagerait le notaire de Chambly.
Boileau croulait sous le travail comme le prouvait les actes de toute nature qui s’empilaient sur son bureau: vente, testament, transaction financière, inventaire, contrat, il lui fallait tout rédiger puis retranscrire en plusieurs exemplaires. Comme il n’avait pas encore les moyens d’entretenir un clerc notaire, il faisait tout lui-même. Si un testament ne nécessitait qu’une seule copie, une transaction ou un accord en exigeait plusieurs, au moins deux, comme c’était le cas aujourd’hui. Son regard découragé s’arrêta sur la pile de notes qui attendaient d’être inscrites dans des actes en bonne et due forme. Il soupira. Il était temps qu’il embauche un assistant qui ferait chez lui son apprentissage.
Incapable de fixer son attention sur son travail, le jeune homme saisit un petit canif { manche d’ivoire posé sur l’écritoire et entreprit de tailler minutieusement ses plumes.
Cette petite besogne lui permettait ordinairement de retrouver sa concentration. Mais ce jour-là, cette tâche routinière ne lui procurait pas la détente habituelle.
Pourtant, la journée avait bien commencé. Toute
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