Marguerite
reconstruire l’église.
— Suivez-moi, mon cousin, invita Charles Robert tout en faisant signe à un des gamins qui accouraient de prendre le cheval du notaire pour le mener au frais, { l’écurie. Il y a longtemps qu’on ne vous a vu dans la région.
En se frottant les mains pour les réchauffer - il avait oublié de mettre ses gants et le froid d’octobre avait gelé ses doigts - le notaire ne put s’empêcher d’asticoter Robert.
— On me dit qu’un autre notaire brasse de grosses affaires de ce côté-ci de la paroisse, depuis quelques semaines.
Le visage de Robert se rembrunit.
— Ainsi, c’est donc vrai ? s’exclama René. Tous les habitants du fief Jacob se sont mis ensemble pour nuire à la reconstruction de l’église ?
— On vous a menti, notaire Boileau. Puisqu’il faut une nouvelle église à Chambly, les habitants du bas de la paroisse demandent tout simplement que l’évêque ouvre une nouvelle paroisse entre Chambly et Belœil. Comprenez. Les enfants doivent parcourir trois lieues pour entendre le catéchisme ! Et puis, le cimetière actuel de la paroisse est insuffisant. La population de Chambly ne cesse de grandir, se défendit l’habitant.
— Voyons, Charles. Ce n’est pas sérieux. Combien de familles vivent dans le fief Jacob ? Environ soixante ?
Soixante-dix ? Vous n’êtes pas assez nombreux pour payer une église, un presbytère et un cimetière. Je comprends que vos terres et vos habitations soient éloignées de l’église, mais c’est la même situation { Sainte-Thérèse, et pourtant, les habitants ne réclament pas le déplacement de l’église de leur côté !
— Mais il n’a jamais été question de déplacer l’église !
s’indigna Charles Robert comme si on venait de l’accuser d’un quelconque méfait.
«Il paraît sincère!» constata René. Tout à coup, tout s’éclaircit dans son esprit. Le marchand Brunet, de Pointe-Olivier, ainsi que le notaire Pétrimoulx avaient fait signer des requêtes { l’évêque en abusant de la bonne foi des habitants du fief Jacob. Aucun d’entre eux ne savait lire.
En s’y prenant habilement, on pouvait leur faire signer n’importe quoi. Les deux notables de Pointe-Olivier, qu’on savait responsable de la rédaction des requêtes à monseigneur Plessis réclamant le déplacement de l’église Saint-Joseph, avaient jeté la consternation au village de Chambly.
— Pourtant, la dernière requête parvenue à monseigneur Plessis réclame le déplacement de l’église de Chambly dans le fief Jacob. Et vous avez apposé votre croix sur ce document. Inutile de nier, je l’ai vue. C’est { vous qu’on a menti, Charles. Racontez-moi comment tout cela s’est passé, fit le notaire en croisant ses longs doigts tachés d’encre.
Charles Robert narra comment, l’été dernier, le gros marchand de Pointe-Olivier, Pierre Brunet, et le notaire Pétrimoulx avaient expliqué le contenu des requêtes et obtenu les croix de tous les habitants sur les documents.
— Ils se sont servis de vous d’une manière abominable, déclara René d’un air dégoûté. Si l’église de Chambly est déplacée, c’est la mort de notre village, vous vous en doutez.
N’avez-vous pas trouvé étrange que ce soit des gens de Pointe-Olivier qui se préoccupent subitement de vos intérêts ?
L’habitant était catastrophé.
— Mais que faire, René ? Est-il trop tard pour changer les choses ?
— Je ne sais pas, Charles. Mais vous pourriez peut-être vous racheter en signant aussi la nouvelle requête que je prépare pour les villageois { l’intention de Monseigneur l’évêque de Québec, demandant { ce que l’église soit reconstruite sur l’ancien emplacement. Et incitez vos voisins à faire de même.
— Je le ferai volontiers. Ça ne cause pas de problèmes pour moi, assura Charles. Mais je ne peux rien dire pour les autres. Ils sont plusieurs à avoir leurs affaires chez Pétrimoulx.
— J’ai comme l’impression que l’honnêteté n’est pas la principale qualité de mon confrère.
— Et les autres ont de la famille à Pointe-Olivier.
— Le diable lui-même s’en serait mêlé que ça n’irait pas plus mal à Chambly ces jours-ci, mon cher Charles. Allez, laissons-là ces disputes et commençons. Nous avons beaucoup de travail. Il faut estimer chacun des objets de la maison, faire l’évaluation des terres, de la récolte, des bêtes, et ensuite, faire le partage. Nous en avons pour des heures,
Weitere Kostenlose Bücher