Marguerite
se dit-il en se tournant sur le côté pour enlacer son épouse endormie. Il déposa un léger baiser sur la belle épaule découverte par la chemise qui avait glissé, enfouit son visage dans la lourde tresse qui dépassait du bonnet de nuit, puis ferma les yeux en se blottissant tout contre le corps chaud de Marguerite.
Et pendant que tous, tant bien que mal, cherchaient à trouver ou une explication ou le sommeil, hantés qu’ils étaient par la vision terrifiante des ruines encore fumantes, le curé Bédard laissa libre cours à ses larmes, pleurant son église détruite. Il songea aux efforts héroïques de ses paroissiens pour la sauver, ce qui le consola quelque peu. « Il me faudra les féliciter pour leur courage, se dit-il pour noyer son chagrin. Car, nous en aurons bien besoin pour reconstruire une nouvelle église. »
« Une nouvelle église ! Oui, bien sûr, il faudra reconstruire l’église», se répéta le curé. Cette idée le réconforta {
tel point qu’il y vit clairement l’expression de la volonté de Dieu. Il se redressa dans le lit pour mieux réfléchir. Le feu n’avait-il pas surgi subitement dans le clocher, une belle journée d’été, sans orage ni rien pour amener un tel fléau ?
C’était bien un signe qu’il y avait l{ un message du Seigneur.
Dans sa divine sagesse, Dieu exigeait une nouvelle demeure plus spacieuse ; une église somptueuse avec de belles colonnades, des arches très hautes et un superbe ciel étoilé comme savaient si bien les peindre les artistes canadiens. Il manderait à Chambly les Quévillon et les Baillairgé. Le divin maître réclamait la plus belle église du Bas-Canada, ici, dans le décor sublime de Chambly. Et c’était lui, Jean-Baptiste Bédard, qu’il désignait pour guider son troupeau et attirer toutes les brebis égarées autour de cette nouvelle église à bâtir. «Demain, se dit humblement le curé, les mains jointes, demain, il nous faudra nous retrousser les manches, tous ensemble. Ah! Merci, Seigneur, de me montrer le chemin. »
Mais malgré la ferveur de ses prières, et si sage et avisé qu’il fût, jamais le curé Bédard n’aurait pu prédire ce qui l’attendait. Si le Seigneur mesurait son amour { l’aulne des épreuves qu’il envoyait { ses pasteurs, Jean-Baptiste Bédard figurait certainement sur la liste de ses favoris.
Chapitre 17
Le diable s’en mêle
Le soleil venait à peine de se lever lorsque le notaire Boileau arrêta sa calèche devant la maison ancestrale de la famille Robert qui avait été une des premières { s’installer du côté du fief Jacob, sur le chemin qui menait { Belœil.
— Enfin, vous voil{ ! l’accueillit amicalement un homme qui s’avançait vers lui pendant que René descendait de la calèche et déchargeait un coffre en bois qui contenait son écritoire de voyage.
La vieille Madeleine Robert venait finalement de mourir.
Son fils, Charles, un homme qui paraissait plus vieux que ses quarante ans avec son visage buriné par le soleil et les travaux des champs, s’était occupé d’elle jusqu’{ la fin, puisqu’il était l’aîné. A ce titre, la ferme familiale lui revenait, mais il fallait quand même établir la part d’héritage de chacun. René Boileau faisait partie de la parenté éloignée des Robert et pour les questions légales, ces derniers lui faisaient entièrement confiance.
Les funérailles de la veuve Robert avaient été célébrées la veille dans le triste bâtiment gris qui tenait lieu d’église, désormais.
Immédiatement après l’incendie, le curé de Chambly avait réussi à rassembler toutes les bonnes volontés et les paroissiens s’étaient prêtés de bonne grâce { la corvée de nettoyage, en plein cœur de l’été. Trois semaines après le sinistre, messire Bédard écrivait fièrement à son évêque que la sacristie avait été rétablie telle qu'elle était. Nous avons construit dans le corps de l’église incendiée une espère de hangar d’une cinquantaine de pieds, lequel communique à la sacristie par une grande porte qu’on a ouverte dans le rond-point de l’église.
Aucun des hommes de la famille Robert n’avaient participé { cette grande corvée, puisqu’ils faisaient partie d’un groupe de paroissiens réclamant le déplacement de l’église de Chambly de leur côté. Ces dissidents avaient si bien embrouillé les cartes auprès de l’évêque Plessis que celui-ci n’avait toujours pas donné l’autorisation de
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