Marie
pensive.
Mariamne
et Ruth notèrent qu’elle devenait de plus en plus silencieuse et même un peu
lointaine. Ce n’était qu’une fois les travaux de la journée accomplis qu’elle
se montrait attentive aux bavardages des uns et des autres. Elle cessa peu à
peu de s’intéresser à la lecture que lui faisait Mariamne à l’heure de la
sieste des enfants, bien qu’elle l’eût elle-même réclamée.
Un soir,
alors qu’elles achevaient ensemble de pétrir la pâte pour le pain du lendemain,
Mariamne demanda :
— Cela
ne te lasse pas de te promener le matin comme tu le fais ? Tu te lèves si
tôt que tu vas finir par t’épuiser.
Miryem
sourit et lui adressa un regard amusé.
— Non,
cela ne me lasse pas ni ne me fatigue. Mais toi, cela t’intrigue. Tu voudrais
bien savoir pourquoi je m’en vais ainsi presque chaque matin.
Mariamne
rougit et baissa le front.
— Ne
sois pas confuse. Il est bien normal d’être curieuse.
— Oui,
je suis curieuse. Et de toi plus que de tout. Elles coupèrent la pâte en
silence pour en faire des boules. Alors qu’elle formait la dernière, Miryem
s’immobilisa.
— Quand
je suis ainsi sur les chemins, murmura-t-elle, je sens la présence d’Abdias.
Aussi proche que s’il était encore vivant. J’ai besoin de ses visites comme de
respirer ou manger. Grâce à lui, tout s’allège. La vie n’est plus aussi
pénible… Mariamne la dévisagea en silence.
— Tu
me crois un peu folle ?
— Non.
— Parce
que tu m’aimes. Ruth aussi déteste que je parle d’Abdias. Elle est convaincue
que je perds la tête Mais comme elle m’aime, elle aussi, elle prétend le
contraire.
— Non,
je t’assure. Je ne te crois pas folle.
— Alors
comment expliques-tu que je ne cesse de sentir la présence d’Abdias ?
— Je
ne l’explique pas, fit Mariamne avec franchise. Je ne comprends pas. Et l’on ne
peut pas expliquer ce que l’on ne comprend pas. Néanmoins, ce que l’on ne
comprend pas existe tout de même. N’est-ce pas ce que nous avons appris à
Magdala en lisant les Grecs qui plaisent tant à ma mère ?
Miryem
tendit ses doigts pleins de farine pour frôler la joue de Mariamne.
— Tu
vois pourquoi j’ai besoin que tu restes près de moi ? Pour que tu me dises
des choses pareilles, qui m’apaisent. Parce que moi, souvent je me demande si
je ne délire pas.
— Quand
Zacharias affirme avoir vu un ange, nul ne se demande s’il est fou !
protesta Mariamne, en ajoutant avec malice : mais peut-être bien que, sans
cet ange, nul ne croirait qu’il a fait un enfant à Elichéba.
— Mariamne !
Malgré son
ton grondeur, Miryem s’amusait. Se masquant la bouche de ses mains blanches de
farine, Mariamne fut prise d’un fou rire.
Cette
fois, son rire espiègle entraîna celui de Miryem. Ruth apparut sur le seuil de
la pièce, le petit Yehuda dans les bras.
— Ah !
s’exclama-t-elle, on entend enfin des rires dans cette maison où même les
enfants sont sérieux ! Voilà qui fait du bien.
*
* *
Quelques
jours plus tard, alors que Miryem cheminait à moins d’un mille de Nazareth, la
silhouette de Barabbas surgit sous un grand sycomore.
Le soleil
était à peine un disque incandescent. Miryem reconnut son corps élancé, son
épaisse tunique de peau de chèvre, sa chevelure. Rien, dans la silhouette de
Barabbas, n’avait changé. Elle l’aurait distinguée entre mille. Elle ralentit
le pas et s’arrêta à bonne distance. Dans la lumière indécise de l’aube, elle
discernait à peine ses traits.
Lui aussi
se tenait immobile. Sans doute l’avait-il vue venir de loin. Peut-être fut-il
intrigué par cette femme, ne la reconnaissant pas immédiatement à cause de ses
cheveux courts.
Ils ne se
saluèrent pas. Ils s’observèrent ainsi, à plus de trente pas l’un de l’autre.
Aucun des deux ne sachant faire le premier geste ni prononcer une parole qui
pût les rapprocher.
Soudain,
incapable de soutenir plus longtemps le regard qu’elle portait sur lui,
Barabbas se détourna. Il contourna le sycomore, franchit un muret de pierres et
s’éloigna. Il boitait assez nettement, plaquait une main sur sa cuisse gauche
pour asseoir son effort.
Miryem
songea à la blessure qu’il avait reçue au bord du lac de Génézareth. Elle le
revit dans la barque, portant le corps d’Abdias dans ses bras. Elle se remémora
leur cruelle dispute dans le désert sur la route de Damas. Elle le revit la
jambe en sang, hurlant sa rage
Weitere Kostenlose Bücher