Marin de Gascogne
sur son ventre et remonta vers la poitrine. Elle rencontra un objet qu’elle palpa prudemment. Il fallut un moment a Bernard pour reconnaître sa cocarde. Elle était légèrement humide. Ses doigts suivirent le cordon jusqu’à son cou.
Il tourna la tête dans la direction d’où semblait venir la lumière. Une porte était entrebâillée dans un encadrement de pierres irrégulières et l’on apercevait un coin de ciel bleu pâle. Continuant leur exploration, ses yeux rencontrèrent une cheminée de pierre grise. Des braises rougeoyaient dans l’âtre enfumé. Tout à côté, un pot de terre laissait échapper une légère vapeur bleuâtre. C’est de là que venait l’odeur de soupe et, d’un coup, Bernard sentit la faim lui tordre les boyaux.
C’est alors qu’il vit la vieille, coiffée d’un fichu noir. Elle était en train de tisonner. Bernard voulut l’appeler, mais sa gorge nouée ne laissa échapper qu’une sorte de râle rauque. La vieille tourna dans sa direction des yeux clairs, se dressa péniblement et clopina vers lui en déversant un flot de paroles inintelligibles.
Les premiers mots qui vinrent à Bernard furent dans sa langue maternelle.
— On soi ?
La vieille parlait toujours. A travers ses chuintements, Bernard reconnut au passage des mots qui ressemblaient tantôt au patois, tantôt à l’espagnol.
— Qu’èi hami, dit-il, j’ai faim.
Comme la vieille ne paraissait pas comprendre, il montra le pot du doigt. Elle leva les bras au ciel.
— Feijada ! cria-t-elle, si ! si ! corner !
La soupe était une sorte de ragoût de fèves dans lequel on avait laissé bouillir sans doute un morceau de vieille couenne. L’odeur de rance et la consistance mitonnée étaient celles des soupes frugales de la Maison du Port. Tandis qu’il vidait goulûment l’écuelle avec une cuiller de bois, Bernard sentit la nostalgie lui emplir les yeux de larmes.
La vieille le regardait manger avec ravissement. Quand elle voulut lui servir une nouvelle écuelle, il fit signe que non.
— Que soi hart !
Son estomac se révoltait contre ce brusque afflux de nourriture et il lutta contre une nausée, dents serrées, sueur au front. Il se dressa sur le grabat, se mit sur pieds et, titubant, se dirigea vers la porte. Dans la lumière éblouissante, le grand vent chassa son malaise. Devant lui, au bout d’une pente douce d’herbe vert pâle, l’Océan chantait sur une rive de galets. Il fit quelques pas, comme attiré par la mer. C’était de là qu’il venait. Il ferma les yeux sur les visions d’enfer qu’il en avait rapportées.
La vieille courait derrière lui en brandissant sa culotte et son chandail. Il s’aperçut alors en frissonnant qu’il était complètement nu et que, malgré le soleil, le vent était frais. Il éclata de rire et enfila ses vêtements qui sentaient encore la fumée de l’âtre où ils avaient séché.
Il se retourna pour regarder la maison où il avait repris connaissance. C’était une petite construction carrée en pierre sèche. La fumée s’échappait par les interstices des grosses loses qui servaient de toit. Au-delà, on voyait une vingtaine de maisons semblables et une petite église de granit. Quelques bateaux de pêche étaient tirés à sec sur les galets.
A une cinquantaine de toises, un homme et une femme ramassaient du varech sur la plage. La vieille s’avança sur l’herbe et tenta de les appeler :
— Manoé ! Irma !…
Mais le vent emportait sa voix de crécelle. Bernard joignit ses cris aux siens en faisant de grands gestes. Il prenait plaisir à sentir ses poumons lutter de souffle contre le vent obstiné et inlassable.
Enfin, l’homme et la femme tournèrent la tête vers eux et, laissant leurs paniers, arrivèrent à grandes enjambées.
L’homme était un garçon râblé, au visage carré et à la mine franche. Il devait avoir une quarantaine d’années. La femme était plus jeune et avait des yeux très bleus. C’est quand elle fut tout près que Bernard vit le bébé qu’elle portait ficelé sur son dos.
Manœl parlait un peu castillan. C’est ainsi qu’après de laborieuses explications Bernard apprit qu’il était dans le village de Cedeira, sur la côte de Galice, à une journée de marche du Ferrol.
Les pêcheurs de la barque de Manœl l’avaient trouvé en mer, accroché, inconscient, par un bout de fer tordu engagé sous son chandail,
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