Mélancolie française
accepter par l’Europe ancienne, jusqu’à épouser Marie-Louise, la nièce de Marie-Antoinette. Alors, son entreprise de réconciliation avec l’Ancien Régime coupa le cordon ombilical qui le liait à la Convention de 1793.
Il y a du Madame Verdurin dans sa manière naïve de parler de « son oncle Louis XVI ». « Napoléon eut le défaut de tous les parvenus : celui de trop estimer la classe à laquelle ils sont arrivés » (Stendhal).
Le mariage autrichien révèle que la légitimité monarchique, celle du passé, taraude Napoléon alors qu’il possède celle de l’avenir, ce mélange de gloire et de démocratie plébiscitaire, qui subvertira jusqu’au régime parlementaire britannique tant admiré par nos élites. Ce mariage est une de ses pires erreurs, car il l’éloigné de son fleuve national. Fouché avait raison contre Talleyrand. Avec l’alliance autrichienne, il reprenait la politique de famille de Choiseul qui avait conduit la monarchie française à sa perte. Chaque fois, l’Autriche nous entraîna dans son abîme.
Napoléon avait pourtant une obsession : l’alliance russe. Il espérait se partager l’Europe avec « la montagne de neige », comme disait Talleyrand. C’est lui qui voyait juste et loin. Au XIX e siècle, l’Angleterre se partagera l’Asie avec la Russie. Au XX e siècle, les États-Unis et Churchill découperont l’Europe avec la Russie, sans que cela ne gène personne, excepté les populations sous domination russe. Là aussi, Napoléon avait un ou deux siècles d’avance. Stendhal aussi : « La Russie a toujours cru, depuis Pierre le Grand, qu’elle serait en 1819 la maîtresse de l’Europe si elle avait le courage de le vouloir, et l’Amérique est désormais la seule puissance qui puisse lui résister. »
L’alliance autrichienne était une fleur du passé. Fanée avant même que d’avoir éclos. Talleyrand y voyait la porte d’entrée en Angleterre ; mais la paix anglaise était une chimère, tant que Napoléon ne céderait pas sur la Belgique en général et Anvers en particulier. Les Autrichiens ont trahi les Français dès qu’ils ont pu. Malgré Marie-Louise et l’Aiglon. Dans ces négociations à l’ancienne mode, Napoléon s’est perdu. « Le cycle avait commencé par la résistance nationale ; il finit par celle des Russes. L’esprit national continua de tout conduire et de tout animer ; il avait mené les Français à Moscou ; il allait mener, sur leurs pas, les Russes à Paris » (Albert Sorel).
Napoléon avait écrasé l’Europe des monarques, des cabinets, des coalitions ; il fut vaincu, malgré tout son génie, par l’Europe des nations. C’est peut-être ce qu’il pressentait lorsqu’il disait : « La balle qui me tuera portera mon nom. » Son étoile de Lodi, qu’il cherchait désespérément jusque dans le ciel de Moscou, c’était la nation.
Napoléon remporta tant qu’il s’inscrivit dans le schéma millénaire français, reconstituer la Gaule romaine, et ses marches qui la protègent. Il se perdit et la France avec lui quand il s’égara ailleurs : Espagne, Russie.
Dans ces deux contrées « barbares », où règnent encore l’Inquisition au sud, le servage à l’est, Napoléon était convaincu – non sans raisons – de régénérer ces nations par la magie de son code civil. Il abolit l’Inquisition en Espagne, mais n’osa toucher au servage en Russie. Il chutera chaque fois sur la résistance populaire fanatisée par des prêtres incultes et superstitieux. Soljenitsyne a expliqué que les deux peuples russe et espagnol, situés aux deux extrémités de l’Europe, sont liés par un destin commun : sauver la civilisation chrétienne dans une lutte millénaire, l’un face aux Mongols, l’autre face à l’Islam.
Face à l’Angleterre, non plus, Napoléon n’ira pas au bout de sa logique. Jacques Bainville a démontré avec éclat comment la défaite de Trafalgar, qui le privait de marine, condamnait désormais Napoléon à un Austerlitz par an, tâche surhumaine même pour le successeur d’Alexandre le Grand.
Le Blocus continental, contrairement à ce qu’espérait Napoléon, ne détruisit pas la puissance commerciale et surtout monétaire de l’Angleterre. L’Angleterre retarda l’échéance par son inventivité commerciale et son dynamisme économique, la contrebande à grande échelle (à laquelle collaboraient certains maréchaux d’Empire, qui s’enrichirent ainsi considérablement), ses nouveaux
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