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Mélancolie française

Mélancolie française

Titel: Mélancolie française Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric Zemmour
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nation. Au fur et à mesure des victoires, la ferveur émancipatrice se corrodera des rigueurs de l’occupation ; mais les prophètes désarmés sont vite balayés par l’histoire. La plupart des républiques-sœurs sont mûres pour le message égalitaire français. Elles ont en commun la religion catholique, la montée de l’alphabétisation, des structures familiales égalitaires, et les traces physiques, architecturales, culturelles de l’Empire romain. Longtemps après le départ des troupes françaises perdurera la nostalgie d’une administration française, parfois bureaucratique et tatillonne à l’excès, mais égalitaire et non corrompue.
    Après avoir cru, aux débuts de la Révolution, se partager les dépouilles de la France, les rois européens se retrouvèrent, terrifiés, face à leur disparition annoncée. Ce ne pouvait être qu’une lutte à mort. Napoléon était le produit de la Révolution. Il eut beau, sur les conseils de Talleyrand, imiter les monarques, ceindre une couronne, rien n’y fit. Les rois européens n’avaient pas le choix. Si la peur de leurs peuples ne leur suffisait pas, les services spéciaux de Sa Gracieuse Majesté veillaient. Ainsi firent-ils assassiner le tsar Paul, avec la complicité de son fils – Alexandre –, qui persistait dans son admiration pour la France et en particulier le Premier consul. Chateaubriand prétend que la mort du duc d’Enghien avait rendu impitoyables les monarques européens. On ne les avait pas vus aussi sentimentaux lorsque Louis XVI était monté à l’échafaud. Dans cette lutte inexpiable entre deux mondes, deux époques, où, comme souvent en période de conflit armé, on passait d’une légitimité à une autre, il fallait être radical : les Anglais le furent ; Napoléon aussi, mais seulement à la guerre. Il harcelait et détruisait les armées vaincues, rompant les traditions des guerres en dentelles du XVIII e siècle, quand les armées « se faisaient le moins de mal possible ». Il utilisa à merveille les nouvelles théories militaires enseignées dans les écoles de guerre françaises, combinant avec une rare efficacité les masses et la vitesse. Il pratiqua sans vergogne la « montée aux extrêmes » de la guerre moderne que théorisera Clausewitz.
    Napoléon n’abattit ni les Habsbourg ni les Hohenzollern. Ce fut sans doute sa plus grande erreur, et, à en croire Stendhal, la preuve qu’il ne fut qu’un piètre politique. S’il n’avait pas fait la paix de Campoformio, il fut rentré à Vienne dès 1797, et épargnait à la France les campagnes de 1805 et de 1809 ; mais ce fut chaque fois la maison d’Autriche qu’il épargna. S’il avait abattu les héritiers du grand Frédéric après Iéna en 1806, il aurait empêché que Berlin ne devînt le centre de la résistance aux Français.
    L’« Ogre corse » renouait alors avec les prudences magnanimes et pacifistes d’un Louis XV ! L’homme qui confiait à Talleyrand : « Avant ma mort, ma dynastie sera la plus ancienne d’Europe », celui qui « faisait des rois comme des préfets » et détruisait ainsi symboliquement la monarchie, ses mystères et son aura, n’irait jamais au bout de sa logique. Il avait un siècle d’avance. L’histoire lui donnerait raison… en 1918, quand les trois empereurs européens, l’Autrichien, l’Allemand et le Russe, rejoindront le Bourbon dans les poubelles de l’histoire. Mais l’histoire ne repasse pas les plats. « En politique comme à la guerre, le moment perdu ne revient pas », avait pourtant prévenu l’empereur français. Stendhal avait raison : dès qu’il quittait les champs de bataille, il perdait son coup d’œil d’aigle. D’autres puissances tireraient les marrons de ce feu-là, alors même qu’en 1918 la France de Clemenceau crut encore mettre ses pas dans ceux de géant de l’Empereur. En vain une dernière fois.
    Par-delà les siècles, les personnalités, les circonstances, le drame français fut sans doute paradoxalement l’excès de mesure, et ces victoires magnifiques et coûteuses, mais jamais exploitées complètement.
    Après Friedland, Napoléon traita Alexandre I er en ami, n’exigea rien de lui à Tilsit ; le Tsar en profita pour réorganiser son armée sur le modèle français : « À Tilsit, j’ai gagné du temps », avouera-t-il plus tard. Envahissant la Russie, Napoléon refusa d’émanciper les serfs russes, et de les lancer contre leurs maîtres. Il fit tout pour se faire

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