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Mélancolie française

Mélancolie française

Titel: Mélancolie française Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric Zemmour
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l’Allemagne du Nord, annexées en 1810, et qui sont la trace de l’obsession du Blocus continental, c’est la Gaule romaine enfin reconstituée ; l’empire de Charlemagne qui retrouve son équilibre rompu en 843 ; l’axe central de l’évolution marchande et urbaine de l’Europe depuis le XIII e siècle ; un marché unifié de quarante millions d’habitants (à l’époque !), qui correspond à l’espace des six pays fondateurs du traité de Rome de 1957. Marx avait raison : l’appel au glorieux et mythique passé donne l’énergie indispensable pour accoucher aux forceps de l’avenir. Un héritage historique et géographique qui permet de mieux comprendre rétrospectivement l’aisance avec laquelle de Gaulle dominera dans les années 1960 ce « marché commun ». Cette « Europe française » était la France.
    Derrière la résurrection revendiquée autant que surjouée de l’Empire romain, il y a une Europe continentale fédérée autour d’un môle français dominateur, rassemblée au sein d’une vaste fédération qui irait jusqu’à Wilno, avec la Pologne en poste avancé contre la Russie… Exactement ce que constituent aujourd’hui les États-Unis avec leur fédération européo-otanienne.
    La France révolutionnaire a été une sorte de préfiguration de l’Union soviétique et de l’Amérique. Elle a multiplié les républiques-sœurs comme de futures démocraties populaires : batave, helvétique, cisalpine, ligure, romaine et parthénopéenne. Napoléon a poussé à son terme la logique en les annexant une après l’autre au territoire français. Et les diplomates de la République française ont les manières rudes, mélange d’arrogance et de naïveté, que les vieux diplomates français et anglais railleront tant au XX e siècle chez les envoyés de la République américaine. Aux yeux de l’Europe aristocratique, Napoléon est un parvenu, chef génial d’une insolente nation.
    Mais la France continue d’assumer l’héritage de l’Empire romain. Partout, les Français assimilent selon son modèle : des armées, des routes, des codes, des administrations. Partout, le système féodal est aboli, les Églises perdent leur pouvoir, de nouvelles élites bourgeoises émergent. La langue française reprend le rôle du latin. Un réseau routier est édifié qui relie Paris à Amsterdam, Francfort, Milan. Au Louvre, Vivant Denon centralise toutes les beautés artistiques de l’Europe, donnant ses consignes aux soldats-rabatteurs-pilleurs avant leurs campagnes.
    Dans ses Mémoires, un Hollandais, Dedem de Gelder, note : « Le soldat français est bon camarade ; mais parmi les généraux, il y en a peu qui ne soient pas imprégnés de cet orgueil qu’avaient les Romains, celui de se croire beaucoup plus que tout autre peuple. Aussi regardent-ils constamment un étranger comme inférieur en tout et fait pour être soumis à leurs volontés. »
    Quand le jeune Chateaubriand, survivant de l’armée des Princes vaincue par les volontaires de 1792, arrive à Namur, fuyard esseulé, dépenaillé, affamé, et sale, il est recueilli et soigné par les femmes de la ville. Dans ses Mémoires d’outre-tombe, alors qu’on s’attend qu’il rende hommage à la sollicitude et à la bonté des Flamandes, il écrit : « Je m’aperçus qu’elles me traitaient avec une sorte de respect et de déférence ; il y a dans la nature du Français quelque chose de supérieur et de délicat que les autres peuples reconnaissent. »
    La domination française avait été préparée avec soin. « Dans les victoires d’Alexandre le Grand, il y avait les idées d’Aristote. » De même, il y a Voltaire et Rousseau dans les conquêtes de Napoléon. L’Europe est prête à la domination française. Elle l’attend. Ce furent d’abord les rois et les élites qui recueillirent l’héritage politique, administratif, militaire du Roi-Soleil. Au XVIII e siècle, les Philosophes prirent le relais des hommes d’État : « Voltaire m’a mise au monde », disait la grande Catherine. Mais la Révolution leur fera comprendre que leurs chers Philosophes ont aussi des effets subversifs. Les peuples attendent avec ferveur le message de libération révolutionnaire. Kant arrêtera sa rituelle promenade quotidienne le 14 juillet 1789 ; Hegel, voyant passer Napoléon, contemplera « l’esprit du monde à cheval » ; un représentant de Mayence, Adam Lux, vint à Paris demander le rattachement de sa ville à la grande

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