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Mélancolie française

Mélancolie française

Titel: Mélancolie française Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric Zemmour
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Areva. Le chantage des Allemands dans Airbus avait bénéficié de la pusillanimité des dirigeants socialistes, de leur a priori européiste, de leur mythologie du « couple franco-allemand », qui a pris le relais idéologique du pacifisme d’avant guerre au sein de la gauche française ; de leur fidélité au rêve unitaire et romain qui hante depuis toujours notre pays.
    Paradoxalement, les revendications berlinoises étaient plus légitimes dans Areva que dans Airbus ; la technologie de l’EPR est allemande, et les Français, direction de l’entreprise et État réunis, se refusaient à partager la moindre parcelle de pouvoir. Alors, Siemens se retourna brusquement vers le conglomérat russe Rosatom, à la stupéfaction navrée d’Anne Lauvergeon, la patronne d’Areva, qui n’avait rien vu venir.
    Cette alliance entre Allemands et Russes avait été inaugurée quelques années auparavant par le chancelier Schröder lorsqu’il choisit d’édifier à grands frais un gazoduc sous la Baltique, pour joindre directement les deux pays, et éviter ainsi de traverser Ukraine, Pologne et pays Baltes. Aussitôt après son départ du pouvoir, Schröder fut embauché par Gazprom. Peu de voix crièrent pourtant à la corruption. Le renversement d’alliance nucléaire de Siemens conforte, sous Merkel, le choix de son prédécesseur. Il rappelle cette fin du XIX e siècle qui vit les tsars, eux-mêmes d’origine germanique, mettre l’économie russe en plein essor sous l’autorité modernisatrice des Allemands. À la même période, les grands intellectuels comme Tourgueniev et Herzen se voulaient plus allemands que russes. L’Allemagne était pour eux la porte de l’Occident et du progrès ; ils s’y soumettaient avec enthousiasme, au grand dam des slavophiles, comme Dostoïevski ou Tolstoï. Pierre le Grand lui-même ne rêvait-il pas déjà de faire de ses sujets des Allemands comme les autres ? On ne sait aujourd’hui quelle tendance règne en Russie, qui du Russe ou de l’Allemand utilise l’autre, qui fait le plus assaut de cynisme, entre les penchants néocolonialistes allemands et la fascination matoise et utilitariste russe pour l’« esprit de sérieux » germanique. Les deux ont déjà rêvé d’unifier le continent à leur profit. Dans les deux cas, la France est marginalisée. On se croirait revenu en 1895 dans les eaux du canal de Kiel.
    Depuis qu’elle s’est réunifiée, et organisée rationnellement pour profiter à plein de la mondialisation, l’Allemagne a renoué avec les charmes sulfureux de la « Weltpolitik ». Cette stratégie ambitieuse conjugue les tentations unificatrices du continent de la vieille Prusse et les traditions maritimes et commerciales d’une grande Hanse. Avec l’euro, François Mitterrand avait cru « arrimer l’Allemagne à l’Europe » ; il a surtout arrimé l’Europe à l’Allemagne qui a utilisé la monnaie unique pour détruire la concurrence des industries françaises et italiennes privées de « protection monétaire » face à la machine germanique rendue hypercompétitive par la compression des salaires allemands et les délocalisations massives dans les pays de l’Europe centrale. Lorsque la France voulut imiter en 2007 son modèle économico-stratégique d’« externalisation », en fondant l’Union pour la Méditerranée, au sein de laquelle la France espérait remplacer l’Europe centrale par les pays du Maghreb comme base arrière de la mondialisation, la chancelière Angela Merkel poussa des cris d’orfraie. Elle refusa toute structure créée en dehors des institutions communautaires. Les Français firent valoir que le « Baltikum », Union pour la Baltique, sous influence allemande, échappait à Bruxelles. Les Allemands menacèrent de forger « une Union d’Europe de l’Est » allant jusqu’à l’Ukraine. De rendre officiel ce qui existait dans les faits. De reconstituer publiquement l’ancien « Lebensraum ». Les Français cédèrent. L’Union pour la Méditerranée demeura dans le cadre communautaire du « processus de Barcelone ». Autrement dit, fut renvoyée aux calendes grecques. La Constitution Giscard – reprise quasi intégralement dans le traité de Lisbonne que Nicolas Sarkozy s’est empressé de faire adopter par le Parlement français – appliquait à l’Europe son modèle souple, régionaliste, libéral ; et décrivait un ensemble occidental, atlantiste, d’inspiration libérale et mondialisée. Un saint

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