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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jerry Spinelli
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les égouts où la lumière du jour
    n’éclairait jamais ni les rats ni les rivières d’excréments, Enos,
    Ferdi et Olek le manchot rampaient en direction du mur, tétant
    des cigares de Ferdi pour se guider à leur bout incandescent et
    dissimuler la puanteur sous leur fumée.
    Tous auraient voulu m’accompagner. Pouvoir se faufiler
    dans le trou pas plus large que deux briques.
    116

    Quant à Youri, qui savait ? Il s’activait dans un endroit
    connu de lui seul.
    Fonçant de coin sombre en coin sombre, j’ai rejoint la rue
    face au mur. Je me suis immobilisé à l’abri d’une porte cochère.
    De l’autre côté des barbelés, la nuit rougeoyait. Des sons
    flottaient : un cliquetis, une sonnette, une bribe de musique. Je
    me suis penché en avant, à l’affût d’une patrouille de Bouses.
    Quelqu’un se tenait au beau milieu de la chaussée, à une
    longueur de bras de moi. J’en suis resté baba.
    — Janina !
    — Je t’ai suivi.
    Elle souriait, ravie. Je l’ai brutalement tirée dans la
    pénombre de ma cachette.
    — Rentre ! lui ai-je ordonné.
    — Non.
    — Rentre !
    — Je viens avec toi.
    Ses yeux étaient deux flaques de lune.
    — T’es pas assez petite, ai-je dit, bêtement.
    — Je suis plus petite que toi.
    — Je veux pas de toi.
    — T’as pas le choix. T’es mon grand frère.
    Ça m’a coupé le sifflet. Un instant. M’a donné d’autant plus
    de raisons de refuser qu’elle m’accompagne.
    — Non !
    — Si !
    Je l’ai giflée. Les flaques de lune ont vacillé.
    Elle m’a calotté à son tour.
    Ça a mis un terme à la discussion.
    Traversant la rue comme une flèche, j’ai glissé en un clin
    d’œil dans mon trou. Deux secondes plus tard, Janina se
    tortillait à ma suite.

    117

26

    Elle est restée plantée là, ébahie :
    — Le reste de la ville… ça n’a pas changé.
    Je me suis rué sur elle. Ai arraché son brassard. Lai fourré
    dans sa poche. Ai fait de même avec le mien.
    — Tu vois ! J’ai failli oublier, à cause de toi !
    Je suis parti en tapant des pieds.
    Être vu près de l’enceinte n’était pas une bonne idée. J’ai
    emprunté les ruelles. Derrière moi, j’entendais les pas de
    Janina. Je marchais vite. Je ne l’empêcherais peut-être pas de
    me suivre, mais je m’arrangerais pour qu’elle ne devienne pas
    une partenaire à part entière.
    Nous n’avons pas tardé à nous retrouver au milieu des
    passants, la source des voix et des bruits qui voletaient par-
    dessus le mur. Dans le ghetto, tout était gris – gris les
    habitants, gris les sons, grises les odeurs. Ici, tout était couleurs
    à mes yeux – rouge le ferraillement des tramways, bleue la
    musique des phonographes, argentés les rires des gens. Au loin,
    la sarabande entraînante du manège était un tourbillon de
    couleurs. Lorsque je franchissais la frontière, je n’avais qu’une
    envie, traîner dans les rues.
    Je me rappelais les paroles de Youri : « N’aie pas l’air
    coupable. » J’arpentais le trottoir en me pavanant. Je marchais
    droit sur les flâneurs, les obligeant à s’écarter devant moi. Je
    sifflotais. En d’autres termes, j’ignorais les autres
    recommandations de Youri : « N’attire pas l’attention sur toi.
    Sois invisible. » Ou, peut-être, j’en tenais un tout petit peu
    compte. Car je résistais à l’envie d’enfiler le brassard bleu et
    blanc. J’étais fier d’appartenir à la famille Milgrom, fier d’être
    devenu juif. J’aurais voulu agiter mon brassard et crier :
    — Hé ! Vous autres ! Regardez-moi ! Je suis un sale fils
    d’Abraham !
    Mais je me retenais.
    118

    Derrière moi, Janina sifflait, elle aussi.
    Je me suis rendu dans mon endroit favori. Un hôtel pour
    Bottes Noires. Ils y mangeaient, y buvaient de la bière et y
    dormaient. Un néon bleu en forme de chameau clignotait au-
    dessus de l’entrée. Je me suis livré à mon petit rituel : je suis
    entré dans la porte tambour et l’ai poussée devant moi,
    effectuant une rotation complète qui m’a aussitôt ramené
    dehors. Janina m’a imité, mais elle ne s’est pas arrêtée après le
    premier tour. Je l’ai entraînée brutalement.
    J’ai gagné l’arrière du bâtiment. Des poubelles aussi hautes
    que moi y étaient alignées, tels des soldats. Comme d’habitude,
    les couvercles en étaient soulevés, et quelques enfants
    farfouillaient dans la puanteur et les asticots, trop occupés pour
    me remarquer. La trappe menant au cellier était

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