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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jerry Spinelli
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rué sur le Bottes Noires. Il n’a pas bougé. M’a
    juste brutalement écarté de sa main libre. Une seconde fois, il a
    mis Janina dans sa ligne de mire. Il y a eu un déclic.
    — Arrête, Misha, m’a crié Enos. C’est un appareil photo. Ça
    prend des images.
    Bien que je ne comprenne pas de quoi il parlait, j’ai reculé.
    L’homme à l’appareil continuait à viser et à cliqueter. Près de
    moi, Janina dansait dans la poussière, faisait des grâces au
    Bottes Noires et chantonnait :
    — Encore ! Encore !
    Les couples étaient passés du sourire aux éclats de rire. Les
    dames s’accrochaient au bras des messieurs pour ne pas
    tomber, tant elles s’esclaffaient. Puis l’une d’elles s’est pincé le
    nez, l’autre l’a imitée, elles ont ri encore plus fort, et l’homme à
    l’appareil a pris de nouvelles photos. Plus elles riaient et plus il
    mitraillait, et plus vite Janina dansait, hilare elle aussi. La
    poussière que ses pieds soulevaient retombait sur leurs
    chaussures.
    Quand le tumulte s’est calmé, Janina a avancé.
    S’approchant d’une des dames, elle a demandé :
    — Vous vivez de l’autre côté ?
    L’autre n’a pas répondu. Elle s’est contentée de regarder
    Janina avec bonté. Celle-ci a tendu la main et caressé l’ourlet de
    la robe pied-de-poule de la dame. Le sourire sur les lèvres de
    cette dernière s’est évanoui. Elle a reculé. A toisé la poussière
    qui couvrait ses chaussures blanches. A murmuré quelque chose
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    à ses compagnons. Les sourires sont revenus.
    L’homme qui avait pris les photos a donné l’appareil à sa
    dame. Il nous a fait signe de nous mettre côte à côte, Janina et
    moi. Il s’est placé derrière nous. J’ai deviné qu’il souriait. Il était
    tout près de nous mais ne nous a jamais touchés. Il a parlé à sa
    dame. Elle a visé et cliqueté.
    « Ils vont peut-être nous tuer, maintenant, ai-je pensé. »
    Mais non. Ils sont partis, tout simplement. Alors qu’ils
    s’éloignaient, j’ai crié :
    — Vous ne nous descendez pas ?
    Pas de réponse. Enos m’a rejoint à toutes jambes.
    — Imbécile de tsigane ! a-t-il sifflé en m’assenant une
    calotte sur la nuque. Quand apprendras-tu à boucler ta grande
    gueule ?
    J’ai regretté que Youri ne soit pas là. J’aurais préféré que ce
    soit lui qui me gifle.
    — Qui c’était ? a voulu savoir Ferdi.
    — Des soldats avec leurs bonnes amies, a expliqué Enos. En
    balade dans le ghetto. On est dimanche.
    — C’est quoi, dimanche ? ai-je demandé.
    — Le jour où ils ne te descendent pas, a ricané Enos.
    De retour dans les rues, nous avons vu d’autres soldats en
    balade avec leurs bonnes amies.
    Les dames des Bottes Noires portaient des gants blancs. Je
    ne pouvais m’empêcher de les admirer. Ils étaient plus
    immaculés que la neige.

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    L’été, c’étaient les mouches. J’aimais à les imaginer comme de
    petits oiseaux. Je me rappelais les vrais oiseaux. Je me les
    rappelais qui pépiaient tandis que j’étais allongé dans de hautes
    herbes aux senteurs de carottes. Mis à part les corbeaux, les
    oiseaux ne fréquentaient pas le ghetto. Il n’y avait pas de pain à
    picorer, pas de graines. Les corbeaux qui venaient ne chantaient
    pas. Ils s’interpellaient en croassant. Semblaient se dire : « Par
    ici ! J’en ai trouvé un ! » Ou : « Bas le bec ! C’est à moi ! » Ils
    dénichaient toujours de quoi manger grassement. Ils dévoraient
    les gens. Mouches et corbeaux.
    Les charrettes passaient le matin. Il était resté quelques
    chevaux pour les tirer, puis les Bottes Noires les avaient pris, et
    les hommes étaient devenus chevaux. Quand le convoi croisait
    un corps, il s’arrêtait, et les ramasseurs de cadavres
    s’approchaient. Pour autant, tous les corps n’étaient pas des
    cadavres. Si l’un d’eux était couvert de mouches mais pas de
    corbeaux, il se pouvait qu’il soit encore vivant. Surtout s’il
    n’avait pas de journal. Sauf que, parfois, ce dernier
    disparaissait, repoussé par les corbeaux.
    En général, lorsque les ramasseurs débarquaient, les
    corbeaux s’éloignaient. Ils sautillaient à cinq ou six pas de là, se
    retournaient et piaillaient en direction des hommes. L’un de
    ceux-là attrapait les mains, l’autre les pieds, et ils balançaient le
    cadavre dans la charrette. En s’écrasant sur les autres corps, le
    mort provoquait un envol de mouches, comme une fessée un
    envol de poux. Puis

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