Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
quelque remède au mal qu’il a produit par ses libelles périodiques.
Malheur à lui s’il persistait à méconnaître la sagesse des condamnations que vous avez prononcées contre lui, et s’il ne se rendait pas son propre juge !… Ce serait alors un méchant, qu’il faudrait abandonner à toute la rigueur des lois, à sa conscience et au mépris public…
Je persiste dans mes conclusions.
Le jugement fut, en effet, à très peu de chose près confirmé ; mais Gorsas qui, à l’audience était enfin arrivé à résipiscence en promettant une rétractation immédiate des plus complètes, et en suppliant qu’on n’exigeât point l’affichage de la sentence, donna l’exemple de la plus honteuse palinodie. Déjà dans son numéro du 28 janvier dernier, il s’était permis d’assez pauvres et sournoises plaisanteries à propos du procès dans lequel il avait cru devoir faire défaut.
On lisait dans ce numéro, sous le titre d’Anecdote :
Ou a plaidé hier à la Commune une cause très-singulière, entre SANSON, BOURREAU de la ville, prévôté et vicomté de Paris et quelques gens de lettres. On nous a assuré que l’un des points capitaux du procès était que ce bourreau ne veut pas qu’on l’appelle bourreau, attendu qu’il y a quatre ou dix arrêts du Conseil qui entendent et prétendent qu’on l’appelle exécuteur des arrêts criminels.
On nous assure encore qu’entre autres conclusions il a pris celle-ci : que le mot BOURREAU fût rayé du Dictionnaire de l’Académie.
Ce serait bien le cas d’appliquer ce mot :. CARNIPEX ! QUOQUE, NISI CARNIFICIS NOMINE, TU APPELANDUS ?
On nous assure, enfin, qu’un avocat des parties avait pris au tragique cette affaire, et qu’il avait dit, entre autres choses, qu’un bourreau ne pouvait plaider qu’avec la lanterne du coin de la rue de la Vannerie.
On remarquera que Gorsas laissait parfaitement ignorer à ses lecteurs qu’il était du nombre des gens de lettres poursuivis et qu’il leur donnait habilement le change sur l’objet du procès. Mais ce n’est pas tout : le surlendemain de l’audience à laquelle il avait été débouté de son opposition, au mépris de ses promesses et de ses supplications qui avaient décidé mon grand-père à renoncer à l’affichage du jugement, il se permettait encore, dans sa feuille du 5 février, une insinuation pleine de fiel et d’ironie qui montrait toute l’opiniâtreté de ce caractère acrimonieux et le cynisme avec lequel il éludait ses engagements. A propos de la malheureuse affaire du marquis de Favras, qui venait d’être évoquée, il disait :
L’audition des témoins à la décharge de l’accusé se continue cependant, et l’on croit que M. le procureur du roi en sera pour ses conclusions, M. le marquis de Favras pour sa peur, et mon concitoyen ( C’est une énigme que nous sommes condamnés à expliquer ; mais, comme nous voulons faire les choses en règle, avec réflexion et authenticité nous prenons un peu de marge. [ Note de Gorsas .) ) Sanson , BOURREAU de Paris, pour ses espérances.
Cette jovialité de pédagogue en liesse cachait une insigne mauvaise foi, un éhonté mépris de la parole donnée et de l’autorité de la chose jugée. En fait de rétractation, Gorsas méditait un libelle qui laissait bien loin derrière lui, par l’audace et le cynisme, tous ceux déférés à la justice.
Si je me suis complu à raconter avec tant de détails cette affaire, c’est qu’elle donne un aperçu de la hardiesse et du style des pamphlets qui ont inauguré chez nous la liberté de la presse. Deux des écrivains qui y figurèrent, Gorsas et Camille Desmoulins, devaient, à peu de temps de là, rendre sur l’échafaud un cruel hommage à la puissance de ce bourreau, objet de leurs risées et de leur mépris. Ainsi le voulait cette Révolution qui ne savait racheter ses erreurs que par des crimes, et qui, plus près qu’elle ne le croyait de la logique impitoyable de de Maistre, avait fait de l’exécuteur la pierre angulaire de l’édifice qu’elle rêvait.
Gorsas et Desmoulins se souvinrent-ils, à l’heure suprême, du procès de 1790, et furent- ils encore tentés de dire à leur ancien adversaire : Carnifex ! quoque, nisi carnificis no mine, tu appullandus ? C’est ce que la suite nous apprendra ; mais déjà d’autres sujets me réclament. Gorsas s’était trompé, le malheureux Favras n’en fut point quitte pour la
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