Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
pas être ni hommes ni citoyens ; mais que depuis la Révolution, trois cent mille Français libres n’aient pas élevé une voix protectrice pour faire enlever le corps du supplicié avant qu’il fût aperçu par celui qui allait l’être, il n’y a que trop de quoi faire craindre que les âmes françaises ne s’élèveront jamais.
« Un citoyen, ce fait est certain, un citoyen s’est avancé, l’arrêt à la main, pour faire cette juste et touchante réquisition ; une baïonnette nationale l’a repoussé.
« Leurs corps ont été rendus à leurs parents, qui ont fait célébrer un convoi dans l’église Saint-André-des-Arts. Le grand concours de citoyens qui y ont assisté suffit pour prouver que les frères Agasse ont emporté avec eux les restes du préjugé dont nous sommes déjà étonnés d’avoir été dupes pendant tant de siècles. »
Ces sublimes principes de justice et d’humanité si noblement mis en action, le peuple et Prudhomme lui-même devaient les oublier bien promptement sous l’influence des ressentiments politiques.
A cette époque trois grands procès étaient pendants devant le Châtelet, devenu tribunal suprême, et tous les trois surexcitaient également les passions populaires. Ces procès étaient celui du fermier-général Augeard, accusé d’avoir fourni à la cour les fonds à l’aide desquels elle avait stipendié les troupes rassemblées au Champ-de-Mars ; celui du baron de Besenval, colonel-général des Suisses, qui commandait au Champ-de-Mars au mois de juillet précédent ; et enfin celui du marquis de Favras, inculpé d’avoir voulu introduire la nuit, dans Paris, des soldats armés afin de se défaire des chefs des principales administrations, d’enlever les sceaux de l’Etat et d’emmener le Roi et la famille royale à Péronne.
MM. Augeard et de Besenval avaient été acquittés et ces acquittements, en soulevant une indignation qu’attisaient quotidiennement les pamphlets et les journaux, rendaient la situation du marquis de Favras très périlleuse.
Thomas Mahy, marquis de Favras, était né à Blois en 1745. Il était l’aîné de deux frères dont l’un se nomma le baron Mahy de Corméré, et l’autre M. de Chitenay. Il était entré dans les mousquetaires en 1760 et avait fait, avec la maison du roi, la campagne de 1761 ; puis il passa, en qualité d’aide-major, au régiment de Belzunce et devint enfin lieutenant des gardes suisses de Monsieur, frère du roi. Il se maria en 1774, se démit de sa charge et fit un voyage à Vienne où il fit reconnaître sa femme comme fille unique et légitime du prince d’Anhalt-Schaumbourg. Poussé par son esprit aventureux, il alla en Hollande, où il commandait une légion dans l’insurrection qui souleva, en 1787, les Provinces-Unies contre le stadouder.
C’était, en 1789, un homme de quarante-cinq ans, chez lequel la maturité de l’âge, n’avait point amorti les ardeurs de l’imagination et l’enthousiasme des conceptions hasardeuses. Au physique, c’était le type accompli du gentilhomme, réunissant à la fois la noblesse, l’élégance et la dignité.
Il avait assisté aux attentats des 5 et 6 octobre. Il avait vu le sanctuaire de la majesté royale devenir le théâtre d’une sanglante saturnale ; ce spectacle l’avait rempli d’indignation, et, dans son exaltation chevaleresque, il avait résolu d’arracher le roi et la reine aux dangers dont il les voyait menacés.
Il avait conçu un plan pour l’enlèvement du roi.— A cette époque, il n’était pas un serviteur de la monarchie qui n’eût le sien. — Mais avec le caractère entreprenant de M. de Favras, il ne pouvait se contenter d’une inutile théorie de fuite royale ; il s’occupa avec plus de zèle que de circonspection de trouver les moyens de mettre son projet à exécution.
Si ce projet était tel que l’espion Bertrand de Molleville le rapporte dans ses Mémoires, il me semble aussi chimérique que pas un de ceux qui furent soumis à Louis XVI.
Il s’agissait de réunir une armée de trente mille royalistes, dont l’enrôlement et l’armement devaient s’opérer assez secrètement pour que rien ne transpirât avant le moment de l’action.
Une entreprise de cette nature exigeait autant d’argent que de discrétion, et malheureusement ces deux conditions étaient difficiles à concilier ; M. de Favras se donna beaucoup de mouvement pour réunir les fonds
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