Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
dit-il, il faudrait ôter vos habits… -
M. de Favras ne répondit pas ; mais, lorsqu’on lui eut délié les mains, il aida les aides qui le déshabillaient, et resta en chemise, tête et pieds nus.
Alors de grands cris s’élevèrent de la foule, qui suivait avec avidité tous ces apprêts.
— La corde au cou ! la corde au cou ! disait-on.
Le patient fit signe à Charles-Henry Sanson d’obéir, et au contact du chanvre qui allait lui ôter la vie, il ne tressaillit pas. Il tenait dans la main un cierge de cire jaune.
Le cortège se mit en route.
L’affluence était si considérable, que, sur le pont Notre-Dame, la force armée qui précédait la charrette fut quelque temps à pouvoir s’ouvrir un passage. Pendant cette halte, les clameurs redoublèrent d’intensité ; le condamné les écoutait avec une indifférence qui n’était point jouée, et sans témoigner ni mépris, ni colère.
Devant le parvis de l’église, le patient devait descendre de la charrette, s’agenouiller, et prononcer la formule de l’amende honorable, après avoir entendu une nouvelle lecture du jugement.
M. de Favras prit, le papier des mains du greffier, et, après l’avoir lu d’une voix haute et distincte, il ajouta :
— Prêt à paraître devant Dieu, je pardonne à ceux qui m’ont accusé. Je meurs innocent. Le peuple demande ma mort à grands cris. S’il lui fallait une victime, je préfère que son choix tombe sur moi plutôt que sur quelque innocent, faible peut-être, que l’approche d’un supplice non mérité jetterait dans le désespoir. Je vais expier des crimes que je n’ai point commis.
Alors il s’agenouilla et pria quelques instants à voix basse.
Lorsqu’il se releva, son teint, jusqu’alors très animé, était un peu pâli, il demanda à boire ; puis, d’un pas ferme, il remonta dans la charrette où sa contenance resta ferme et digne.
Lorsqu’on arriva sur la place de Grève, il demanda à monter à l’Hôtel-de-Ville : Le bruit courut sur la place qu’il faisait des révélations, et le peuple qui tremblait toujours de perdre le sinistre dénoûment qu’il attendait, donnait à comprendre par son agitation, que le nouveau souverain serait aussi jaloux de son bon plaisir, que l’avaient été les rois, ses prédécesseurs.
M. Quatremère, conseiller du roi au Châtelet, recevait les déclarations de Favras, ce qu’on appelait encore le testament de mort.
Ce testament de mort qui fut imprimé quelques jours après l’exécution, ne nomma personne, mais une de ses phrases n’en contenait pas moins une accusation terrible contre un personnage dans lequel les historiens ont voulu voir M. le comte de Provence. Ce testament de mort est du reste un modèle du courage poussé jusqu’au stoïcisme. On y remarque ce passage :
«… Je le supplie de représenter à la Cour qui m’a jugé, qu’une de ses victimes souhaite devenir pour elle un sujet de circonspection qui la fasse balancer à prononcer des arrêts de mort, s’il se présente à ses yeux quelque autre accusé, aussi extraordinairement impliqué que je l’ai été. »
Sa déclaration dictée, M. de Favras demanda et obtint l’autorisation d’écrire quelques lettres.
Cependant la nuit était venue ; il avait fallu suppléer à la pauvreté de luminaire que distribuaient les réverbères de la place, on illumina l’Hôtel-de-Ville avec des lampions ; et en raison des nécessités de l’exécution, on en plaça sur le gibet qui se dessina dans la nuit en silhouette de feu.
Sorti de l’Hôtel-de-Ville, M. de Favras s’avança d’un pas égal vers l’endroit où la potence était dressée.
Le courage extraordinaire qu’il déployait étonnait et touchait ceux qui en étaient témoins, car en ce moment au milieu des menaces et des cris de mort on entendait également crier : grâce !
Au moment où il approchait de l’échelle, un de ceux, peut-être, qui le matin avaient parcouru la ville en demandant pour boire, parce qu’on allait pendre Favras, lui cria :
— Allons, saute, marquis !
M. de Favras resta insensible à cette suprême insulte, et ne détourna pas la tête ; il gravit quelques échelons, et lorsqu’il fut assez haut pour dominer la foule, il dit en élevant la voix :
— Citoyens, je meurs innocent, priez pour moi.
Il répéta cette protestation à chacun des trois échelons qui lui restaient à gravir, et au dernier se tournant vers l’aide qui, à cheval sur le
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