Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
dut comprendre qu’il était condamné à l’avance.
Cette conviction n’altéra ni son calme, ni sa présence d’esprit. Il répondit avec beaucoup de tranquillité et avec une politesse un peu affectée à toutes les questions qui lui furent faites.
Ses accusateurs, les racoleurs dont j’ai parlé, prétendaient que M. de Favras leur avait demandé des gens de bonne volonté pour établir à Versailles un corps de cavalerie, à l’effet de protéger jusqu’à Metz le départ du roi ; que l’accusé lui avait dit avoir des correspondants en Picardie, en Artois, dans le Hainaut, dans le Cambrésis, pour soutenir l’enlèvement du roi.
Le sieur Turcati ajoutait que, le 6 octobre, M. de Favras avait demandé à M. de Saint-Priest de lui faire livrer des chevaux des écuries du roi, à l’effet de monter partie de la cavalerie projetée ; que le ministre l’ayant refusé de la manière la plus formelle, l’accusé avait imaginé un second projet, qui consistait à assassiner MM. de Lafayette, Bailly et Necker, et à enlever de Paris le roi et le garde des sceaux.
M. de Favras n’eut pas de peine à faire ressortir l’invraisemblance d’une déposition qui donnait de si étranges complices à une conjuration de cette importance, et il demanda en souriant à ses juges de produire d’autres accusateurs.
Non seulement ces accusateurs ne se présentèrent pas, mais le tribunal se refusa d’entendre les témoins à décharge.
Un dédaigneux sourire passa sur les lèvres de l’accusé.
— Je croyais être jugé, dit-il, par le Châtelet de Paris, je me suis trompé ; j’aurai été jugé par l’inquisition d’Espagne.
M. de Favras avait raison : Il est hors de doute que, comme tant d’autres, il s’était occupé de favoriser ce que les royalistes appelaient l’évasion du roi. Mais, soit que sous sa frivolité apparente, l’accusé eût eu assez d’habileté pour ne laisser aucune trace du projet qu’il avait formé, soit, ce qui est également possible, que le danger de compromettre des personnages importants eût fait reculer devant la production de papiers qui eussent jeté quelque jour sur cette ténébreuse affaire, les preuves faisaient absolument défaut, et la condamnation, déjà prononcée dans l’esprit des magistrats, allait manquer de ses bases les plus essentielles.
Les gens sensés le comprenaient si bien, que les adversaires politiques de M. de Favras, les journaux du temps en font foi, élevèrent la voix en sa faveur, et s’étonnèrent à bon droit de l’aveugle sévérité qui succédait tout à coup, chez les juges, à tant d’indulgence.
Le marquis de Favras vit clairement qu’il allait être la victime expiatoire que Messieurs du Châtelet, dans leur ardeur à reconquérir leur popularité compromise, allaient offrir au ressentiment que les deux acquittements précédents avaient soulevé dans la multitude ; il pressentit que la Cour, terrifiée, se garderait bien de hasarder en sa faveur une démarche compromettante, et il se résigna à son sort avec une fermeté héroïque.
Le 29 février, le Châtelet rendit son arrêt.
Le marquis de Favras était condamné à être pendu, après avoir fait amende honorable devant Notre-Dame.
Son visage ne manifesta pas la moindre émotion, et le rapporteur lui ayant dit, après la lecture de l’arrêt :
— Il ne vous reste plus, monsieur, d’autres consolations que celles que vous puiserez dans la religion.
— Pardon, monsieur, répondit-il avec le plus grand calme, il me reste encore celles que je puiserai dans ma conscience.
Depuis que les débats étaient commencés, une foule immense s’entassait aux abords du Châtelet, vociférant et demandant à grands cris la mort de Favras. Les appétits sanguinaires, deux fois trompés, voulaient leur proie, et les juges étaient décidés à ne pas même faire languir cette impatience..
Au moment même où commençait la lec-(ture) de l’arrêt, on portait à l’exécuteur l’ordre de dresser la potence sur la place de Grève.
Il sortit du tribunal pour aller tout droit à l’échafaud, et personne ne prit garde au terrible précédent que le Châtelet venait d’établir.
La précipitation apportée dans les préparatifs était si grande, qu’au moment de monter dans le tombereau, mon grand-père s’aperçut qu’il avait négligé d’accomplir les prescriptions de l’arrêt, en dépouillant M. de Favras de ses vêtements. ‘
— Monsieur, lui
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