Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
bras de la potence, se trouvait au dessous de lui.
— Et toi, fais ton devoir, ajouta-t-il.
Il avait à peine achevé que sous la vigoureuse impulsion qui lui était donnée, son corps se balançait dans le vide.
Au moment où les derniers tressaillements qui couraient sur le corps indiquaient que la vie venait de le quitter, on cria : bis ! dans la foule.
Et ce même peuple, naguère si convaincu de l’expiation, ce peuple qui, quelques jours auparavant, s’associait aux hommages rendus aux deux corps qui avaient payé la dette de leurs crimes, voulut disputer les misérables restes de Favras aux soins pieux de sa famille ; il fallut l’intervention de la garde nationale pour épargner au cadavre du pendu les outrages qui avaient poursuivi Flesselles et de Launay jusque dans la mort, et on dut l’inhumer en toute hâte dans l’église de Saint-Jean-en-Grève pour le soustraire à la rage populaire.
XVI - MÉMOIRE A L’ASSEMBLÉE NATIONALE
Je reviens à la revendication des droits de citoyen portée par mon grand’père devant l’Assemblée nationale. Elle fut discutée, comme je l’ai dit, dans la séance du 23 décembre 1789, et l’on sait le décret qui termina cette délibération. Ce décret, selon moi, résolvait la question et donnait à Charles-Henry Sanson toute la satisfaction qu’il pouvait réclamer. Il n’en jugea pourtant pas ainsi ; à ses yeux, les débats n’avaient pas suffisamment élucidé la matière, et, par cette raison, le décret lui paraissant entaché d’équivoque, il crut devoir en solliciter l’interprétation.
Ici, il n’est pas sans intérêt de faire connaître ce qui s’était passé dans le sein de l’Assemblée à cette séance du 23 décembre, et les défenseurs et les adversaires que la cause des exécuteurs y avait rencontrés. Au nombre des premiers se trouva le comte de Clermont-Tonnerre, qui aborda franchement la question en ces termes :
Des professions sont nuisibles ou elles ne le sont pas. Si elles le sont, c’est un délit habituel que la patrie doit supprimer ; si elles ne le sont pas, la loi doit être conforme à la justice qui est la source de la loi. Elle doit tendre à corriger les abus, et non à abattre l’arbre qu’il faut redresser ou greffer. Parmi ces professions, il en est deux que je souffre de rapprocher ; mais, aux yeux des législateurs, rien ne doit être séparé que le bien et le mal. Je veux parler des exécuteurs des arrêts criminels et des gens qui composent vos théâtres.
J’observe sur la première de ces deux professions qu’il ne s’agit que de combattre le préjugé ; il est vague, léger et porte sur des formes ; il faut changer ces formes pour le détruire. Dans les usages militaires, quand un coupable est condamné à la mort ou à subir quelque punition, la main qui a frappé n’est point infâme. Tout ce que la loi ordonne est bon ; elle ordonne la mort d’un criminel ; l’exécuteur ne fait qu’obéir à la loi ; il est absurde que la loi dise à cet homme : Fais cela, et si tu le fais tu seras couvert d’infamie.
L’abbé Maury combattit cette froide logique par un de ces élans qui lui étaient habituels :
L’exclusion des exécuteurs de la justice n’est point fondée sur un préjugé, s’écria-t-il. Il est dans l’âme de tout homme de bien de frémir à la vue de celui qui assassine de sang-froid son semblable. On dit que la loi exige cette action ; mais la loi ordonne-t-elle à un homme d’être bourreau ? Le préjugé est appuyé sur l’honneur qui doit être plus essentiellement respecté dans une monarchie.
Mais déjà un orateur pâle, aux formes sèches, anguleuses, s’était levé et s’acheminait vers la tribune, où il laissait tomber de ses lèvres pincées ces paroles sentencieuses :
On ne dira jamais avec succès dans cette assemblée qu’une fonction nécessaire de la loi peut être flétrie par la Loi. Il faut changer cette loi et le préjugé n’ayant plus de bases, disparaîtra.
Celui qui venait de parler ainsi était un obscur député de l’Artois, appelé Maximilien Robespierre. Il était à peine remarqué sur les bancs de l’Assemblée, et pourtant chaque fois qu’il élevait la voix, sa parole avait quelque chose de dogmatique et d’absolu qui semblait trancher les questions avec l’inexorabilité du glaive. Se doutait-il déjà, ce petit avocat d’Arras, qu’il défendait sa propre cause, et qu’en plaidant
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