Meurtres dans le sanctuaire
peut-être capitonné, et avec un coussin ! Dans la cuisine, la viande qui rôtissait sur le feu embaumait.
Kathryn se versa de l’eau fraîche dans un gobelet d’étain, puis, la tête ailleurs, elle regagna son cabinet d’écriture, buvant son eau à petites gorgées. Nul doute, l’Irlandais allait l’interroger. Qu’aurait-elle à lui répondre ? Toute cette affaire la tourmentait, lui rappelait quelque chose... quelque chose qu’elle avait lu, ou que son père lui avait raconté ? Elle s’immobilisa sur le seuil de son cabinet. Que disaient ces mauvais vers que lui avait montrés Newington ?
Sur la tombe de Becket, poussière et crasse
Radix malorum est Cupiditas.
Ces vers ne lui étaient pas étrangers. Et pourquoi l’assassin choisissait-il ses victimes en fonction de leur métier ? Elle n’avait pas oublié les deux autres vers :
Un tisserand s’était acheminé jusqu’à Cantorbéry,
Et moi, j’ai envoyé son âme au Ciel.
Secouant la tête, Kathryn se rassit à sa table. Comment s’y serait pris son père pour résoudre cette énigme ? Dans ce cabinet, elle sentait sa présence toute proche. Il lui semblait parfois qu’il se tenait penché sur elle, dans son dos.
« Kathryn, avait-il coutume de dire, n’oublie jamais que nous autres médecins ne savons rien. Si tu as mal à la gorge, je puis te donner une mixture de miel et d’herbes qui te soulagera, je le sais. Mais je ne puis expliquer pourquoi. De même si tu te casses un bras, je pourrai le placer sur une attelle, et vraisemblablement il se raccommodera. Pourquoi, comment ? Je l’ignore. Un bon médecin doit observer, comparer et tirer ses conclusions. Il doit chercher des signes : l’éclat des yeux du malade, ses ongles, ses cheveux, sa posture, la façon dont il respire. » Kathryn se concentrait, les yeux fixés sur le mémoire du clerc. Et si elle y appliquait ces principes ? Elle prit une feuille de parchemin qu’elle lissa et réfléchit. Dès à présent, que pouvait-elle consigner ?
Quatre hommes avaient été assassinés, tous par le poison, dont deux sortes au moins avaient été utilisées : la digitale et l’arsenic. De motif apparent : point. Et nul lien non plus entre l’assassin et ses victimes. Celles-ci étaient toutes des pèlerins ; on pouvait donc en conclure que l’auteur des mauvais vers anonymes détestait le sanctuaire, qu’il considérait comme une farce, et voulait s’en venger et tourner en dérision tout le pèlerinage. Enfin il choisissait ses victimes selon leur profession. Pourquoi ?
Kathryn rêvassait, maintenant. Elle entendit vaguement Thomasina et Agnes rentrer dans la maison... les odeurs provenant de la cuisine étaient de plus en plus alléchantes... Kathryn se ressaisit, relut ce qu’elle avait noté, avant de tremper sa plume dans l’encre verte pour écrire de son écriture appliquée :
« Le meurtrier – un homme ? – peut se déguiser en vulgaire garçon de salle, et passer inaperçu dans l’affluence d’une taverne. Néanmoins, il doit être intelligent, instruit et assez fortuné. Il sait écrire en vers – même mauvais –, connaît très bien les poisons et peut s’en procurer facilement. » Kathryn souligna ce dernier point puis tripota distraitement le bracelet qui scintillait à son poignet, dans la lumière. Une seule conclusion s’imposait : l’assassin était soit apothicaire, soit médecin.
Reprenant le manuscrit du clerc, Kathryn relut les détails du dernier assassinat, celui du médecin, Robert Clerkenwell, à la Taverne de l’Échiquier. L’homme buvait du vin du Rhin. Un vin blanc et translucide dont le parfum piquant pouvait masquer l’âpreté de la digitale. Le poison tiré de celle-ci était une poudre blanche, qui se dissolvait en quelques secondes dans un liquide. Cela, seul un bon médecin ou un apothicaire pouvait le savoir. De même, comme tout apothicaire, Kathryn savait que la poudre de digitale, absorbée en doses infinitésimales, permettait de soigner un coeur malade, mais que, prise en trop grande quantité, elle constituait un poison qui entraînait la mort subite.
Elle reposa sa plume. L’assassin, pensait-elle, devait connaître parfaitement les rues et venelles de la ville : ainsi il pouvait disparaître, se cacher, et reparaître dans un accoutrement différent. On pouvait donc penser qu’il habitait Cantorbéry ou ses faubourgs proches. Cependant pourquoi, oui, pourquoi les vers ? Pourquoi cette
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