Mon frère le vent
muscles qui protestaient contre un tel poids, elle lança cet avertissement :
— Toi, Traqueur de Phoques, ne t'imagine pas pouvoir traiter les femmes d'ici comme tu traites les tiennes. Crois-tu que les Chasseurs de Baleines soient les seuls à acquérir de la force grâce à la viande de baleine ? Crois-tu que les femmes ne soient pour rien dans ce pouvoir ? Estime-toi heureux que je n'aie cassé que ta canne.
Waxtal eut un rictus, mais, forte de la pierre et du couteau, Kukutux n'avait pas peur. Elle entendit à ce moment un appel et, avec prudence, tourna les yeux vers Roc Dur qui arrivait dans leur direction. La voix de Waxtal se mua en une plainte et, quand Roc Dur fut à portée de voix, Waxtal désigna Kukutux et sa canne qui se consumait en flammes jaune pâle.
— Elle s'est servie de ma canne pour nourrir son feu de cuisson, dit Waxtal avec la voix posée d'un homme considéré comme un sage et recherché pour ses conseils.
Kukutux lâcha la pierre et s'essuya la main sur son suk.
— Il m'a battue avec.
— Avec sa canne ? fit Roc Dur en fronçant les sourcils.
Kukutux acquiesça d'un signe de tête.
— Tu crois une femme ? demanda Waxtal.
— Oui.
Waxtal réussit à sourire.
— Quel homme n'est contraint, à un moment ou un autre, d'enseigner la sagesse avec un bâton ?
La colère fit une boule dans la poitrine de Kukutux. Elle s'apprêtait à répliquer quand Roc Dur lui fit signe de se taire.
— Il semble qu'en toutes circonstances, dit-il, Kukutux ait toujours été capable de s'en sortir seule. Maintenant, tu dois m'accompagner dans mon ulaq. Les chasseurs veulent te parler.
Waxtal le suivit donc. Kukutux les regarda s'éloigner. Les pas de Roc Dur étaient lourds, s'appuyant d'abord sur ses talons. Waxtal, lui, marchait d'un pas si léger que même l'herbe qu'il écrasait se relevait immédiatement.
Les deux hommes disparus, Kukutux transporta à l'aide d'un bâton fourchu un tison dans son ulaq désormais vide et sombre. Ses pieds retrouvèrent leur chemin dans les encoches du rondin puis jusqu'à chaque lampe à huile. Deux des quatre lampes étaient suffisamment remplies si bien que les mèches brûlaient toujours. Kukutux posa le tison dans une des lampes vides et retourna au feu de cuisson. Elle prit deux gros bouts de bois pour ôter la peau à bouillir du tripode de bois flotté suspendu au-dessus du foyer. Elle la porta prudemment, non dans l'ulaq des commerçants mais dans le sien et le suspendit aux chevrons au-dessus d'une des lampes allumées.
Elle fit ensuite trois voyages à l'ulaq des commerçants pour reprendre tout ce qui lui appartenait — fourrures de couchage, paniers vides ou remplis d'herbe, ventres d'huile et de viande séchée, vessies d'eau — et emporta le tout chez elle. Puis elle se rendit dans la chambre de son époux mort, trouva les quelques armes qu'il n'avait pas emportées avec lui dans les Lumières Dansantes. Une tête de harpon brisée. Une lame tordue de lance à oiseaux. Une gaffe pour éperonner le poisson. Un javelot d'enfant. Elle posa tout cela à côté d'elle puis se servit un bol de bouillon et de poisson bien chaud. Si Waxtal venait la chercher, elle était prête à se battre.
— Que pouvais-je faire de plus ? demanda Waxtal. J'ai appelé les morses. Je les ai amenés à tes chasseurs. Je t'ai dit de ne pas les attaquer avec des harpons de phoque. Crois-tu que les baleines soient les seuls animaux qui doivent être honorés ? Crois-tu pouvoir négliger les tabous ?
Il émit un bruit grossier avec ses lèvres et souffla de l'air entre ses fesses.
Roc Dur plissa le nez à cause de la puanteur.
— Les morses sentent encore l'odeur de votre bêtise, commenta Waxtal.
Waxtal se leva et regarda les hommes. Quand il était arrivé, jeune homme, pour aider ces Chasseurs de
Baleines contre les Petits Hommes, il y avait tant de chasseurs dans ce village qu'un seul ulaq ne les contenait pas. Combien, aujourd'hui ? Ses yeux passèrent d'un homme à l'autre. Huit, dix, dont beaucoup de vieux. Il désigna grossièrement Roc Dur.
— La malédiction qui est sur vous à cause de l'homme Samig est toujours présente.
Roc Dur souffla durement.
— Cet homme est mort. Veux-tu nous attirer un autre mauvais sort en prononçant son nom ?
— Il y a des choses que je sais et que tu ne sais pas, des choses que les esprits ne révèlent qu'à celui qui les honore, déclara Waxtal. Je vous ai apporté des morses... bons pour la
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