Mon frère le vent
une petite voix d'enfant. Qui prendra soin de moi ? »
Elle entonna un chant funèbre qui se transforma en une berceuse, une de celles que lui chantait sa mère.
— Je suis tellement désolé, dit Longues Dents pendant qu'elle chantait. Si j'étais arrivé plus tôt, j'aurais peut-être pu la sauver.
— Et mon fils ? demanda Kiin dans un souffle.
— Il est chez le Peuple des Rivières. Le Corbeau l'a vendu.
Le monde s'assombrit, se rapetissa. Mais alors l'esprit de Kiin lui murmura des paroles douces, réconfortantes, comme lorsqu'une mère console son enfant.
« Il n'est pas mort. Tu le retrouveras. Samig le retrouvera. Pleure ta mère, mais ne pleure pas ton fils. »
Alors, le monde refit surface — le renflement et le grondement des vagues, la force et le froid du vent, la voix de Longues Dents, brisée par le chagrin.
— Qu'est-il arrivé à ma mère ? murmura Kiin.
Soudain, sans qu'elle sache comment, Samig était
avec elle, et Trois Poissons, Chagak et Kayugh, et Nez Crochu qui, de ses bras puissants, serrait son époux tandis qu'il racontait.
— L'homme Corbeau l'a tuée, dit-il.
La colère emplit la poitrine de Kiin qui hurla :
— Pourquoi ? Pourquoi ?
— Elle avait quitté le village — pour venir à ma rencontre. Elle se cachait dans l'herbe quand le Corbeau est venu prier. Il l'a prise pour un loup.
— Un loup ? s'exclama Kiin qui crut bien éclater de rire.
Samig la prit dans ses bras et lui enfouit la tête contre son épaule.
— Je l'ai ensevelie sur la plage, à la manière des Chasseurs de Baleines, et j'ai dit des prières.
— Je dois y aller, déclara Kiin, cherchant à s'arracher à l'étreinte de Samig. Il le faut.
Mais Samig refusa de lâcher prise.
— Ta mère est ici. Calme-toi et attends. Elle est ici. Pourquoi retourner chez les Chasseurs de Morses ? Elle a refusé de rester là-bas. Elle a suivi l'ikyak de Longues Dents pour revenir chez nous. Reste tranquille et tu sentiras son esprit au milieu de nous.
Alors Kiin cessa de lutter et laissa son époux l'accompagner dans l'ulaq retrouver Takha qui la serra contre lui et lui tapota les joues de ses petites mains potelées jusqu'à ce qu'il ait réussi à obtenir un sourire.
— Je pars, dit Samig. Si tu veux m'accompagner, viens. Sinon, reste.
— La glace est en train de se former dans la baie, remarqua Kayugh. De la neige, peut-être, ajouta-t-il en levant une main au ciel.
— Je ne puis attendre jusqu'au printemps. Je ne connais pas le peuple chez qui est Shuku. S'ils sont à court de nourriture, ils le laisseront peut-être mourir de faim — avant leurs propres enfants.
— Tu sais que tout homme qui prend un enfant pour sien, même si ce n'est pas sa femme qui l'a porté, le traite comme ses autres enfants, objecta Kayugh.
— Il en est ainsi chez les Premiers Hommes. Peut-être les choses sont-elles différentes chez le Peuple des Rivières.
— Tu ne sais même pas à quoi ressemble le bébé.
Kayugh se pencha pour ramasser une poignée
d'herbes qu'il tint en l'air une à une pour ensuite laisser le vent les emporter.
— Je demanderai l'enfant vendu par le Corbeau, des Chasseurs de Morses. J'offrirai tout ce que j'ai. C'est mon fils. Je ne puis le laisser élever par les Rivières qui ne savent pas les mots sacrés des Premiers Hommes, qui ne savent pas chasser le phoque ou la baleine, qui ne savent pas construire un ikyak.
Kayugh porta son regard vers la baie. Le ciel était gris et le soleil approchait de l'horizon. Tout semblait obscur.
— Demain ? demanda Kayugh.
— La marée est plus favorable maintenant, répondit Samig.
Kayugh approuva d'un signe de tête.
— Je vais chercher de la nourriture. Tu auras tout ce qu'il te faut pour l'échange.
Samig remonta la plage en direction de son ulaq.
— Tu devrais emporter une bandoulière, appela Kayugh derrière lui. Ce sera plus commode au retour.
Les paroles de son père renforcèrent les muscles de Samig qui marcha plus vite.
L'ulaq résonnait des chants funèbres des femmes. Nez Crochu et Kiin se tenaient au centre du groupe, les paupières closes, le visage baigné de larmes. Samig fit signe à Trois Poissons de le rejoindre. Il lui chuchota à l'oreille ce qu'il comptait faire. Elle écarquilla des yeux apeurés et ouvrit grand la bouche. Il la connaissait bien et comprit qu'elle allait se mettre à pousser des gémissements. Alors il la bâillonna et lui parla sévèrement comme à une gamine.
— Ne
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