Mon frère le vent
éclissé pour orienter son propulseur était encore flexible.
— La nuit, dit-il à sa main, aux esprits qui dirigeaient ses lances, la nuit je demanderai à Trois Poissons d'éclisser chaque doigt.
Mais lorsqu'il prononça le nom de son épouse, le son parvint à ses oreilles comme un cri de deuil.
— Trois Poissons, répéta-t-il dans un murmure.
Il s'accroupit sur le gravier et observa la baie. Des femmes mouraient en donnant la vie, et Trois Poissons avait saigné.
— Ne meurs pas, Trois Poissons.
Il serra le collier de Kiin comme si c'était une amulette.
— J'ai perdu Kiin. Je ne puis te perdre. Peu m'importe que tu me donnes un fils ou non. Ne meurs pas.
Il entonna un chant à l'esprit des baleines mais sentit ses prières tirées vers quelque chose de plus fort, peut-être une montagne, peut-être le soleil. Peut-être un esprit qui n'était lié ni à la terre, ni à la chair ; un esprit qui vivait comme un mystère au-delà des pensées des hommes.
Le travail de Trois Poissons dura toute la nuit. Quand le soleil se leva, Chagak sortit, se plaça face à l'est et accueillit la lumière. Elle avait appris la salutation quand elle était petite, de sa mère Chasseur de Baleines ; elle l'avait perdue dans les années qui avaient suivi le massacre du village de son père.
Elle ferma les yeux et vit le soleil briller, lueur orangée à travers ses paupières.
Aux gémissements de Trois Poissons, Chagak regagna l'obscurité enfumée de l'ulaq. Elle s'agenouilla pies de la jeune femme qui, recroquevillée au centre de la pièce, serrait une corde de varech suspendue aux chevrons.
Chagak repoussa le tablier tissé de Trois Poissons et passa les mains sur le ventre de la jeune femme.
— Le bébé est presque là, Trois Poissons. Presque. Pousse, pousse fort.
Trois Poissons serra les dents et obéit.
— Je vois la tête, ma fille. Il y a des cheveux. Beaucoup. Pousse.
Alors le bébé vint, en un coup, si vite que Chagak faillit le laisser tomber par terre.
— Un garçon, dit-elle.
— Il vivra? demanda Trois Poissons d'une voix râpeuse comme de la pierre ponce.
— Il est petit.
Chagak posa le bébé sur une natte d'herbes finement tressées et plongea une douce bande de peau de phoque dans un récipient de bois plein d'eau chaude. Elle lava le sang de naissance des yeux et de la bouche de son petit-fils et attendit que le cordon cesse de battre.
Trois Poissons grogna soudain et Chagak posa une main sur son genou.
— Ce n'est que le délivre. Rien de plus. Cela arrive vite et passe aussi vite.
Chagak noua le cordon, le trancha puis mit un doigt dans la bouche du bébé. Il était mou dans ses bras. La peur, dure comme de la glace, s'installa au cœur de Chagak. Elle extirpa un filet de mucus de la gorge du petit puis posa le ventre sur son bras.
— Le bébé, il ne pleure pas, dit Trois Poissons.
Elle se pencha en avant et tendit la main vers son
enfant, faisant jaillir le sang d'entre ses jambes.
— Rallonge-toi, reste tranquille, ordonna Chagak.
Puis elle frotta le dos du nourrisson.
— Respire, petit, murmura-t-elle.
Le visage du bébé était gris et ses lèvres étaient bleues. Chagak lui donna une pichenette sur la plante des pieds. Soudain, il avala une grande goulée d'air et poussa un long gémissement.
Chagak éclata de rire et ce rire, qui venait de sa gorge, se mêla à ses larmes si bien qu'elle fut incapable de parler. Elle maintint le bébé jusqu'à être certaine qu'il respirait régulièrement, puis elle le tendit à la jeune maman qui se tourna sur le côté et l'installa dans ses bras.
— Dois-je le nourrir ?
— Parfois, les tout petits ne tètent pas, expliqua Chagak.
Elle attendit pendant que Trois Poissons ouvrait la bouche du bébé avec ses doigts pour presser ensuite sa tête contre son sein. Le bébé se détourna. Trois Poissons essaya de nouveau. Cette fois, Chagak maintint la tête de l'enfant.
— Frotte ton téton contre ses lèvres.
Le petit ouvrit la bouche, émit un petit cri puis se mit à téter.
Chagak secoua la tête et sourit.
— Il est petit mais il est vigoureux. Ton mari sera heureux.
— Oui. Maintenant, il a trois fils. Quel homme peut rêver mieux ?
Chagak acquiesça d'un signe mais, songeant à Kiin et à Shuku, ne dit rien.
Baie de Chagvan, Alaska
— Sculpte, ordonna le Corbeau à Kiin. Rien d'autre Ne couds pas. Ne tresse pas de paniers. Contente-toi de sculpter. Plus tu produiras de figurines,
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