Mon frère le vent
qu'elle avala tout cru.
À la fin du troisième jour, Kiin trouva un bon endroit au dos d'une colline, à l'abri du vent et dissimulé par les herbes hautes. Elle aplatit l'herbe afin que Shuku puisse jouer tandis qu'elle cousait des bottes en peau de phoque pour protéger ses pieds des herbes coupantes.
Elle savait qu'en allant droit vers l'ouest, suivant le chemin du soleil, elle arriverait à la baie des Chasseurs de Morses. La veille, elle l'avait vue scintiller comme de la glace bleue alors qu'elle atteignait le sommet de la colline ; alors, ce matin, craignant les femmes qui pourraient monter ramasser de la bruyère ou des racines, elle avait marché droit vers l'est, s'enfonçant dans les collines, presque à la base des montagnes qui protégeaient le village Morse. Elle avait décidé de passer le lendemain à coudre et à trouver des racines. Il ne lui restait plus que deux morceaux de poisson de la baie du camp aux saumons, et qui pouvait dire combien de jours il lui faudrait encore marcher jusqu'à la prochaine plage ? Une fois arrivée à une plage, elle trouverait cependant des oursins et des chitons, attraperait des menhadens et creuserait pour trouver des clams.
— Je ne mourrai pas de faim, dit-elle d'une voix forte à l'adresse des esprits qui la surveillaient. Ce n'est pas la première fois que je vis sans chasseur.
Elle ne fit pas de feu. Pourquoi risquer que la fumée, blanche contre le gris du ciel, n'attire l'attention ? Elle serra Shuku contre elle et s'emmitoufla avec lui de peaux de phoque et de fourrures.
Cette nuit-là, les loups l'éveillèrent, mais leur voix était si distante qu'elle n'avait pas peur. Kiin avait souvent entendu des loups chanter à l'époque où elle vivait chez les Chasseurs de Morses. Elle replongea dans le sommeil pour s'éveiller de nouveau sous des cieux presque clairs et un soleil suffisamment chaud pour évoquer l'été.
Elle s'assit pour coudre, ajustant les bottes et utilisant des petits bouts pour fabriquer une autre paire de jambières à Shuku. Dans la demeure du Corbeau, Shuku allait jambes nues et souvent tout nu, comme la plupart des enfants, mais ici, sous ce vent, il avait besoin d'être tenu au chaud, surtout lorsqu'il était sanglé à l'extérieur du suk de sa mère. La veille, il avait trempé ses jambières et à la fin du jour ses mollets étaient rouges et gercés. Désormais, Kiin pourrait faire sécher une paire tandis qu'il porterait la seconde. Quand ils trouveraient un ruisseau, elle en laverait une à fond et si elle les ramollissait en les mâchant et en passant de l'huile, elles ne frotteraient pas ses jambes à vif.
Quand le soleil se coucha enfin, Kiin enfila ses nouvelles bottes, remballa toutes ses affaires et se mit en route. Après le coucher du soleil, les Chasseurs de Morses seraient chez eux ou sur la plage ; le danger était moindre de se faire remarquer en passant au large des collines au-delà de leur village. Toutefois, elle prit soin de rester sous les crêtes afin que personne ne pût percevoir de mouvement et arrive avec l'espoir de trouver quelque chose de bon à chasser.
Le rythme de la marche de Kiin calma Shuku qui dormit jusqu'au lever du jour. Quand il s'éveilla, Kiin s'arrêta pour se reposer, pelant et mangeant quelques racines ramassées la veille. Une fois Shuku nourri, elle se pencha pour le prendre par les mains et le faire marcher dans l'espoir qu'il dormirait longtemps par la suite. Mais la journée passa sans qu'il témoigne de la moindre fatigue. Il rebondissait sur la hanche de sa mère quand il était dans sa bandoulière et pleurait de rage quand elle le fixait sous son suk pour le nourrir.
À midi, Kiin s'autorisa un peu de viande de phoque séchée, mais même ce riche festin ne suffit pas à la faire avancer et elle dut s'arrêter. Elle se libéra de son panier et s'assit à côté. Ses pensées paraissaient contrôlées par un esprit tracassier si bien que des rêves s'infiltrèrent entre ses yeux et ses paupières et s'en emparèrent comme la voix d'un conteur pour l'arracher au monde d'herbe et de vent. À un moment donné, ses yeux restèrent clos assez longtemps pour que Shuku file à quatre pattes si loin que Kiin dut se lever pour le voir.
— Comment vais-je dormir ? demanda-t-elle comme si elle posait la question à un entourage invisible.
C'est alors qu'elle entendit le doux murmure au fond d'elle-même : « Tu as eu de pires problèmes que celui-là. »
Se souvenant alors de
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