Mon frère le vent
ouvrit la bouche et reprit mot pour mot ce que chantait la défense.
— C'est pourquoi je suis venu, murmura Waxtal en s'interrompant. C'est pourquoi je suis là, dans la pluie et dans le froid.
Il se recroquevilla plus profondément dans son suk, levant les épaules pour que le bord du col glisse pardessus ses oreilles. Il posa les mains à plat sur la défense sculptée. Sentant de nouveau le chant, il ferma les yeux et écouta. Il caressa la défense, songea au pouvoir qu'elle lui conférerait, aux trocs qu'il ferait. Chaque homme, chaque femme sur chaque plage du monde connaîtrait son nom, l'honorerait, envierait son pouvoir.
Oui, dès le matin, il partirait et ne retournerait pas voir Roc Dur, mais se rendrait sur l'île de Tugix, au vieux village qui s'y trouve. Il verrait ce qu'il y restait. Peut-être le vieux Shuganan, mort depuis de nombreuses années, aurait-il quelque chose à lui dire. Peut-être l'esprit du vieil homme, voyant la défense sculptée par Waxtal, voudrait lui donner du pouvoir supplémentaire. Puis Waxtal irait dans d'autres villages, jusqu'à ce qu'il ait assez de pouvoir pour aller voir le Corbeau. Ils se rencontreraient — de chaman à chaman, de marchand à marchand — et en tant que père de l'épouse du Corbeau, Waxtal lui demanderait son aide pour tuer Samig. Alors, toutes choses lui appartiendraient.
Waxtal rit, puis écouta le chant de la défense, mais il s'était estompé et Waxtal ne savait plus s'il entendait un chant ou le vent. Alors, il s'endormit.
Des mots le réveillèrent et, encore pris dans ses rêves, il crut d'abord que la défense s'était remise à parler. Il ouvrit les yeux.
Hibou et Œuf Moucheté se tenaient au-dessus de lui, un couteau dans la main droite. Waxtal eut presque le temps de saisir son couteau de manche. Presque. Mais l'âge l'avait affaibli. Peut-être dans sa jeunesse aurait-il eu une chance, mais aujourd'hui, contre deux, mieux valait se battre autrement.
Il tourna les yeux vers la mer. Elle était calme et le brouillard s'étendait, lourd contre l'eau. Le regard de Waxtal fut attiré vers la partie la plus éclairée du ciel, cet endroit où le soleil du matin lutte pour s'arracher aux vagues. Cette lumière lui donna la force d'élever la voix en ce chant que lui avait enseigné la défense, le chant de morse venu de sa sculpture.
Du coin des yeux, il observa Hibou et Œuf Moucheté, observa et attendit jusqu'à ce que les deux hommes aient baissé leur couteau pour écouter. Enfin il dit :
— J'ai été béni d'une vision.
Les deux hommes se turent un moment.
— Viens avec nous sur la plage, dit enfin Œuf Moucheté.
— Ceci est un lieu sacré, dit Waxtal. Je ne puis partir sans de nombreuses prières.
— Alors prie, dit Œuf Moucheté d'une voix basse et sèche. Nous t'attendrons près de ton ikyak.
— J'ai beaucoup de choses ici, dit Waxtal en désignant sa lampe de chasseur et ses défenses.
Hibou émit un bruit grossier venu du fond de sa gorge et s'empara de la défense sculptée. Œuf Moucheté tira la peau de phoque de sous Waxtal et prit l'autre défense.
— Dépêche-toi, dit Hibou.
Les deux hommes lui tournèrent le dos et s'éloignèrent à grands pas.
Waxtal ferma les doigts sur le vide, se leva, ajusta son suk puis se rassit. Il tenta de se rappeler un chant ou une prière, une bénédiction pour la sainteté de la terre, mais il ne put penser à rien d'autre qu'au froid qui montait du sol. Puis il se rappela un chant de grâce que chantaient les Premiers Hommes pour les animaux qu'ils avaient pris. Il ouvrit la bouche, mais au lieu de remerciement, ce fut une demande de protection qu'il psalmodia d'une voix tremblotante. Tandis qu'il chantait, des images vinrent à son esprit, il vit les deux marchands avec ses défenses, qui prenaient son ikyak pour le laisser sur cette plage sans nourriture ni huile. Il vit ses défenses vendues à quelqu'un qui volerait le pouvoir qui lui était destiné.
Alors Waxtal s'arrêta, ramassa sa lampe de chasseur et courut jusqu'à ce qu'il eût rattrapé Hibou et Œuf Moucheté qu'il suivit dans l'ikyak.
Kukutux se leva et recula, pliant les épaules. Elle rejeta la tête en arrière pour observer son travail sous tous les angles, s'assurer que les points étaient bien lisses et vérifier l'inclinaison des bords.
— C'est bien, dit-elle à voix haute avant de presser les doigts sur ses lèvres. C'est bien que tu sois seule. C'est bien que personne ne puisse
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