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Mon frère le vent

Mon frère le vent

Titel: Mon frère le vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sue Harrison
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tribu suivant les rivières, l'autre trouvant un endroit sur les rivages de la mer du Nord ? Mais pourquoi laisser le courroux d'hommes morts depuis longtemps détruire les vivants ? Aussi le Corbeau prétendit-il ne pas remarquer la nervosité du vieil homme.
    Malgré leurs désaccords, les peuples Rivière et Morse avaient toujours été commerçants, laissant de côté leurs querelles pour se rendre visite et échanger des marchandises. Le Corbeau lui-même avait entrepris plusieurs voyages de troc chez les Rivières ; il comprenait donc l'essentiel des paroles de Dyenen. Pourtant, il se tourna vers Renard Blanc et attendit que l'homme traduise. Mieux valait que Dyenen ne sache pas que le Corbeau comprenait.
    Le savoir caché est le pouvoir de l'homme fort, affirmaient les conteurs.
    Renard Blanc répéta les paroles de Dyenen. Le Corbeau hocha la tête avec lenteur. Avec lenteur, il prononça :
    — Saghani s'uze' dialen.
    Saghani — le Corbeau. Oui, c'était son nom, cependant il ne limiterait pas son pouvoir à un nom. Il y avait longtemps, dans sa quête d'une vision, il était devenu corbeau. Il avait volé, il avait regardé la terre d'en haut, il avait vu, en dessous, la petitesse de l'homme. Qui, après une telle vision, pouvait rester le même ?
    Le chaman rit, secoua la tête et observa les chasseurs Rivières rassemblés dans la demeure. Ils rirent à leur tour et levèrent les mains en écartant les doigts, témoignant ainsi de leur plaisir à voir le Corbeau essayer de parler leur langue.
    Tendant la main pour emplir de nouveau les bols, la femme du chaman tourna la tête pour rire avec son souffle malodorant au visage du Corbeau. Il s'obligea à lui sourire. Puis, afin de la repousser, il tendit vers elle son bol plein et dit :
    — Bon !
    Renard Blanc traduisit.
    — Ugheli.
    — Ugheli ! s'exclama le Corbeau, ce qui provoqua un nouveau mouvement d'approbation.
    Mais le chaman plissa les yeux et le Corbeau vit le rapide éclair du doute, alors il tapa du revers de la main contre le bras de Renard Blanc, désigna du menton un chasseur Rivière en train de parler, puis se pencha pour saisir la traduction de Renard Blanc. Il demandait simplement quel chasseur avait fourni la viande servie par la femme du chaman mais le Corbeau hocha la tête, baissa les yeux comme s'il écoutait quelque chose d'essentiel.
    Le vieux chaman déplaça rapidement son regard vers l'homme Rivière et revint avec satisfaction au Corbeau.
    Il suffit, se dit le Corbeau. Plus un seul mot Rivière ne sortira de ma bouche jusqu'à ce que j'estime que Dyenen doit savoir que je parle sa langue. Le vieil homme a mis ces années à profit. La sagesse guide ses yeux. Le Corbeau ôta de son cou un collier de dents de loup qu'il tendit au chaman.
    — Dyenen, en l'honneur de ta sagesse, dit le Corbeau.
    Sans attendre que Renard Blanc traduise, il se leva et ôta de son cou un collier de perles de coquillage. Il quitta le cercle des hommes assis autour du feu de braises et, prenant garde de marcher derrière chacun, afin de ne pas les insulter, il se rendit près de l'épouse de Dyenen. La vieille femme était debout au fond de la tente en peau de caribou, près de la porte, de façon à pouvoir sortir en hâte chercher d'autre nourriture sur le feu de cuisson au-dehors. Le Corbeau passa le collier autour du cou de la vieille femme. Sans montrer la moindre surprise, celle-ci caressa le bijou d'un doigt crochu. Le Corbeau essaya de savoir, à l'expression de son visage, quelle était sa place dans le village. Son avis était-il recherché, ou bien était-il écouté avec désinvolture ? Les chasseurs l'honoraient-ils ou la toléraient-ils ? Mais le voile de ses yeux empêchait le Corbeau de voir dans l'âme de la femme, aussi n'obtint-il rien de son cadeau, hormis une nouvelle ration de viande.
    Il regagna sa place près du chaman Rivière. Il prit son bol et commença à manger, saisissant des bribes de conversation. Même s'il connaissait assez bien leur langue, ils parlaient trop vite pour qu'il comprît tout. En outre, les minces cloisons de peau de caribou semblaient laisser les mots s'échapper dans le vent, où ils s'éparpillaient comme des feuilles de saule dans la tempête. Comme s'il entendait les pensées du Corbeau, le vent augmenta soudain, poussant à l'intérieur un des murs et soufflant la fumée à l'intérieur de la tente sur le visage des chasseurs.
    Les hommes Rivières parurent ne rien remarquer, mais les yeux du

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