Montségur, 1201
être trop
forts, à moins que ce ne soit les souffrances qu’il endurait, ou qu’il ait
perdu trop de sang, mais son regard devint vitreux et, quand le Parfait lui
demanda de répéter le Notre Père, Espes ne répondit pas.
Il était mort.
Guilhem resta longuement silencieux. Les autres le
regardaient sans parler, attendant sa décision. Sanceline se cachait les yeux
avec ses mains, refusant de voir l’horrible spectacle.
— Cette fois, il ne faut plus douter de la
présence de Vladislas de Valachie, dit finalement Guilhem, mais est-il toujours
ici, maintenant qu’il a puni son voleur ?
— Cet homme vient de dire qu’il allait
chercher du renfort pour son maître, ce Gilabert. Il a seulement eu la
malchance de croiser la route du comte, remarqua Wolfram d’Eschenbach. Le
valaque ne le cherchait pas, puisqu’il se trouvait encore à Saint-Gilles, mardi.
— Espes y était aussi, intervint Amicie. On
ignore quand il a rejoint Gilabert. Pourquoi Dracul ne l’aurait-il pas
suivi ?
— Si Dracul l’avait fait, il s’en serait pris
à Gilabert avant qu’il n’attaque le convoi de la noble dame Esclarmonde,
remarqua Eschenbach en secouant la tête.
— Qu’en conclus-tu ? lui demanda
Guilhem.
— Que c’était nous que le comte Dracul
suivait. Il cherche le Graal, tout simplement, répliqua Wolfram d’Eschenbach.
C’est la seule explication.
Guilhem était parvenu à la même déduction. Dracul
était derrière eux quand ils avaient découvert le convoi attaqué. Il ne s’était
pas aperçu qu’ils avaient grimpé dans la forêt, à la recherche d’Amicie et
d’Esclarmonde. Les valaques avaient seulement suivi le chemin et rattrapé
Espes, envoyé entretemps par Gilabert chercher du secours. Ils l’avaient
reconnu, interrogé, torturé, puis empalé.
Ils resteraient donc autour d’eux jusqu’à
Montsalvat pour tenter de s’approprier le Graal. Ce seraient des adversaires
plus redoutables que Gilabert et ses marauds.
— Mettons cet homme en terre, décida Guilhem.
Ils dégagèrent le pieu et creusèrent une fosse où
ils allongèrent le corps d’Espes qu’ils recouvrirent de pierres.
— Noble comtesse, dit Guilhem quand tout fut
terminé. J’ai changé d’avis. Je vous accompagne jusqu’à Foix. Je ne crois pas
que les valaques s’en prendront à vous, mais je ne veux pas prendre de risque.
Dracul assure qu’il était fils du diable et je comprends pourquoi.
Elle l’approuva de la tête. Certes, elle pourrait
obtenir une escorte à Sainte-Gabelle, mais seulement des marchands, des
ouvriers ou des convers de l’abbaye proche. Ils seraient bien impuissants
devant le comte Dracul et ses gens d’armes.
Sainte-Gabelle était un petit bourg fortifié
autour d’une tour carrée construite par le prévôt de la cathédrale de Toulouse.
La cité tenait sa richesse du pont en bois sur l’Ariège et de la culture du
pastel, seule plante permettant à cette époque de teindre la laine en bleu. La
garde de la ville était assurée par ses habitants et une poignée hommes d’armes
sous l’autorité d’un chevalier ayant prêté hommage au comte de Foix.
Ils arrivèrent devant le pont-levis dans
l’après-midi. Des voyageurs les ayant précédés avaient découvert le massacre du
convoi et Espes empalé. Terrorisés, ils s’étaient enfuis au plus vite trouver
refuge dans la ville sans même remarquer que le supplicié n’était pas mort.
Le bourg était donc en émoi. Cela faisait des
années qu’il n’y avait pas eu de troubles dans le pays et les seules armes que
possédaient les habitants étaient des couteaux, des épieux et des instruments
de cuisine ou aratoires comme des lardoires et des fourches. Quant au chevalier
commandant le château, il était depuis quelques jours à Toulouse.
C’est dire combien les habitants furent terrorisés
en apercevant la troupe conduite par Guilhem d’Ussel. Il fallut qu’Esclarmonde
se montre, et même les menace, pour que le marchand en charge de la garde du
pont-levis accepte de le baisser et de faire lever la herse.
Esclarmonde s’installa dans la tour, où le sergent
de garde lui laissa la chambre du chevalier, tandis que Guilhem et ses amis
prenaient logis chez le boutiquier capitaine du pont-levis. Au souper, où
Esclarmonde et Amicie avaient changé leurs vêtements, Guilhem l’interrogea,
mais ni lui ni ses gens n’avaient vu d’hommes en armes avec des casques à
longue pointe.
Les voyageurs
Weitere Kostenlose Bücher