Montségur, 1201
Où
es-tu ?
Ses paroles se perdirent dans la bise.
Kchèt chèt chèt ! cria le faucon en fondant
brusquement sur un lapin.
À son tour, Guilhem lança :
— Enguerrand ! Enguerrand !
— Père ! Père ! Père ! Elle
s’arrêta brusquement pour demander, d’une voix aiguë :
— Tu l’as entendu ?
— Non… Il n’y a que la bise qui souffle. À
moins que ce ne soit le cri de joie du faucon. Regarde-le tuer le lapin !
— Ce n’était pas le faucon !
affirma-t-elle. Ça venait de là !
— En bas ? Mais il n’y a que de la
caillasse ! remarqua Wolfram.
— Je vais descendre, décida-t-elle.
— Non ! Tu tomberas et tu finiras en bas
de la falaise.
Sans l’écouter, elle s’engagea dans un sentier de
chèvre qui descendait à pic. Au bout de quelques pas, elle glissa et agrippa
juste à temps une touffe d’herbe pour se retenir, restant en équilibre près du
vide, tandis qu’un de ses pieds cherchait une prise.
— Quelle tête de mule ! s’exclama
Guilhem. Attends-moi, je vais te tirer de là !
Il enleva son épée de son baudrier et la
rejoignit.
— Vous êtes des fols ! s’exclama Wolfram
en défaisant son propre baudrier.
C’était un baudrier à trois ceinturons. Il les
déboucla et les attacha solidement entre eux pour en faire un long harnais
qu’il lança à Sanceline.
— Agrippez-vous à ça ! cria-t-il.
Elle saisit l’extrémité de la bande de cuir et
parvint à trouver une prise pour son autre pied.
À ce moment, Guilhem arriva près d’elle et lui
enlaça la taille avant de l’entraîner sur une étroite corniche.
Quand elle fut en sûreté, il défit à son tour son
baudrier pour l’attacher à celui de Wolfram. Il serrait une des boucles quand
il perçut un murmure suppliant :
— À… l’aide…
Chapitre 26
L a
voix, étouffée, mourante, provenait d’une terrasse rocheuse, en contrebas.
Le regard de Sanceline croisa celui de Guilhem. Il
exprimait un mélange de triomphe et de crainte.
S’aidant des ceintures dont Wolfram tenait
toujours solidement l’une des extrémités, Guilhem atteignit la plateforme
au-dessous. Sanceline le suivit et il l’attrapa dans ses bras. Ils se tenaient
sur un replat dominant un à-pic vertigineux. Dans un renfoncement, simple
surplomb de pierre, un corps serré dans la défroque d’un manteau était allongé.
Malgré son visage émacié, Guilhem reconnut Enguerrand.
Il resta un instant déconcerté. Le père de
Sanceline semblait invalide, immobilisé. Depuis quand était-il là ?
Comment avait-il survécu ?
— Sanceline… murmura le Parfait en découvrant
sa fille qui s’agenouillait devant lui. J’ai prié le Seigneur de te revoir
avant de mourir… Il m’a exaucé.
— C’est Guilhem qu’il faut remercier, mon
père.
Ussel s’accroupit devant le vieillard. Ayant
débouché sa gourde, il lui versa quelques gouttes dans la bouche et sur ses
lèvres desséchées.
— Merci… Guilhem… D’où viens-tu ?
demanda le vieillard en plantant ses yeux dans les siens comme s’il cherchait à
lire directement la réponse dans son esprit.
— On est à ta recherche depuis plusieurs
jours, père, nous te raconterons, répondit Sanceline. Mais que
t’arrive-t-il ? Pourquoi es-tu là ?
— J’ai glissé sur une plaque de neige… Je
suis tombé ici. Je ne crois pas que ma jambe soit brisée, mais je ne peux pas
m’appuyer dessus. La douleur est trop forte.
— Depuis combien de temps es-tu là ?
— Dix, douze jours peut-être.
— Sans manger ? Sans boire ? Au
froid…
— Si fait, mais ma pèlerine m’a un peu
protégé du froid, sourit-il tristement. J’ai pris de la neige pour me
désaltérer. Seulement je n’ai rien mangé, sinon un peu de mousse… et de
l’herbe.
Enguerrand avait toujours été d’une maigreur
effrayante, mais peut-être l’accoutumance à peu se sustenter l'avait-elle
sauvé.
— Nous allons vous remonter, lui dit Guilhem.
Il se releva et prévint Wolfram. Après quoi, il
revint à Enguerrand qu’il souleva avec facilité, tant le pauvre homme était
léger. L’ayant porté à l’autre extrémité de la plateforme, il dénoua le cordon
de sa pèlerine, une robuste lanière tressée, pour en faire une sorte de harnais
qu’il attacha aux ceintures des baudriers.
— Wolfram, tire-le avec douceur, lança
Guilhem à l’Allemand qui avait observé ces préparatifs. Je le soutiendrai
par-derrière.
« Sanceline,
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