Montségur, 1201
Montaut.
— C’est ce que je voulais savoir… Mais votre
Guenièvre n’a plus de roi Arthur. Pourquoi ne l’épousez-vous pas ?
Le silence s’installa, et comme l’archevêque ne
quittait pas Guilhem des yeux, celui-ci répondit avec embarras :
— Je ne sais pas. Nous n’en avons pas parlé.
Puisque vous savez tant de choses, vous ne devez pas ignorer que je voulais
l’épouser, il y a deux ans, et que ses frères s’y sont opposés. Je doute qu’ils
aient changé d’avis.
Guilhem ne pouvait avouer qu’il était incapable de
prendre une décision tant qu’il serait sans nouvelle de Sanceline.
— Vous pouvez compter sur mon appui…
désintéressé, fit seulement l’archevêque. Mais, changeons de sujet. Vous m’avez
merveilleusement bien accompagné hier, à la viole. Connaissiez-vous le
Chevalier de la charrette ?
— J’avais entendu ce conte à Rouen, en langue
d’oïl.
L’archevêque se leva et se dirigea vers un lutrin,
faisant signe à Guilhem de s’approcher.
— Voici le livre complet du conte de Chrétien
de Troyes. Cela a pris deux ans, à un moine de Chartres, de me le calligraphier
en langue d’oc. Je dois vous dire que cela m’a aussi coûté une fortune.
Guilhem regarda l’archevêque parcourir les grandes
pages reliées dans un dos en ivoire ciselé. Chaque feuille était en vélin le
plus fin. Le texte était en écriture Caroline, sur deux colonnes, avec des
lettrines multicolores et certaines pages étaient entièrement enluminées.
Quelques signes d’oublis et de fautes avaient été ajoutés dans les marges et
des manicules indiquaient les passages les plus importants de la quête de
Lancelot.
— Savez-vous que Chrétien de Troyes a écrit
d’autres contes ?
— Oui, monseigneur, mais je ne les connais
pas.
— L’une de ses gestes s’intitule Perceval
ou le Conte du Graal . Depuis des années, je tente en vain d’en obtenir une
copie, mais, les moines de Chartres ne la possèdent pas.
Avec Jehan le Flamand, Guilhem quitta Auch à la relevée.
Tout au long du chemin, il songea à l’attitude bienveillante de Bernard de
Montaut envers lui. Il n’en était pas dupe, même s’il l’appréciait. Pour
s’imposer, le nouvel archevêque avait besoin de vassaux respectés et puissants.
Or, Guilhem, homme lige du roi de France et du comte de Toulouse, réputé pour
son courage et son habileté, et surtout seigneur d’un riche fief, possédait ces
qualités.
De plus, en lui promettant son soutien s’il
épousait Amicie de Villemur, l’archevêque se posait en conciliateur entre les
comtes de Foix et de Toulouse. Et Foix et Toulouse étaient les deux comtés où
les cathares étaient les plus nombreux.
Arrivant à Lamaguère, Guilhem trouva une lettre de
Sanceline portée par un diacre qui venait d’Albi.
La lettre était un vélin plié et scellé à la cire
qui sentait le romarin. C’est Aignan qui la lui remit. Guilhem l’ouvrit quand
il fut dans sa chambre. Devant l’archère, seule ouverture apportant de la
lumière, il la lut.
Mon doux ami
et mon cher Guilhem,
La séparation
que je t’ai imposée a fait de nous des étrangers. Oublions les rêves que nous
avions pu faire ensemble.
Que Dieu te
conserve en sa sainte garde.
Comme atteint par un trait invisible qui aurait
pénétré par l’archère, il chancela et s’assit sur un banc que les templiers
avaient laissé.
Il savait depuis des mois qu’il avait perdu
Sanceline, mais le lire, écrit de sa main, lui provoqua une insupportable
douleur. Il resta ainsi un long moment, l’esprit en déroute, incapable de
réagir, et ne fut tiré de ses tristes pensées que par un grattement à la porte.
C’était Amicie.
— J’attendais ton retour, lui dit-elle, avec
un beau sourire.
— Au moins quelqu’un m’attendait !
répondit-il tristement.
Elle vit la lettre qu’il tenait.
— De mauvaises nouvelles ?
— Non. La fin d’une belle histoire.
Connais-tu Lancelot ? demanda-t-il pour changer de sujet.
— Le chevalier de la charrette ? Oui, un
troubadour est venu à Saverdun nous conter sa quête. J’aime cette histoire qui
montre jusqu’où peut conduire l’amour.
— L’archevêque d’Auch l’a chantée. Je
connaissais ce récit, mais je ne l’avais pas entièrement compris.
Elle s’approcha de lui et lui prit les mains. Il
laissa tomber la lettre.
— Guenièvre et Lancelot sont comme nous,
Guilhem. L’une est la dame et
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