Montségur, 1201
disparu, entièrement masqués par
les paupières boursouflées. Leurs lèvres n’étaient qu’une plaie.
Mais en prenant la main d’Amicie, il la sentit
frémir. Il se baissa vers sa bouche et sentit son souffle : elle respirait
encore.
Pendant ce temps, Bartolomeo s’occupait
d’Ermessinde.
— Elle vit, seigneur ! dit-il plein
d’espoir.
— Amicie aussi. Que peut-on faire ?
interrogea Guilhem, désespéré.
— Je sais qu’il faut frotter les piqûres avec
trois plantes broyées et ajouter de la salive, proposa Alaric, mais j’ignore
quelles plantes il faut utiliser.
— Qu’en dis-tu, Aignan ? demanda Guilhem
à l’ancien libraire.
Son visage ayant beaucoup gonflé, Aignan eut du
mal à s’exprimer :
— Il… faudrait de l’eau…, seigneur… Il faut
d’abord laver les piqûres.
Ils n’en avaient pas. Quand à écraser des plantes
sur les visages boursouflés, aucun n’aurait osé. Il ne restait qu’à couper de
solides branches pour faire des brancards. Déjà Geoffroy s’était rageusement
attaqué à un petit arbre avec son couteau.
Mais Guilhem ne bougea pas, restant près de celle
qu’il aimait, comme si sa présence pouvait lui communiquer une partie de sa
force vitale. Cependant, dans son for intérieur, il savait que c’était inutile.
Il avait vu une mule mourir, piquée par un essaim de frelons dérangés. Si une
mule avait succombé ainsi, comment Amicie, si frêle, pourrait-elle
survivre ?
À côté de lui, Bartolomeo priait en italien.
Elle allait s’éteindre. Il le savait. Il songea à
ce que disait Lancelot : Mon corps sans cœur n’est qu’une écorce sans
bois .
Soudain Amicie eut un râle d’agonie, une sorte de
hoquet. Elle se raidit dans une affreuse convulsion et il crut qu’elle allait
passer, mais ce n’était que des vomissures.
Pourquoi les frelons s’étaient-ils attaqués à
Aignan et aux deux femmes ? Les insectes faisaient leur nid dans les creux
des arbres ou des roches, rarement dans le sol. C’était souvent ceux-là qui
attaquaient, car le bruit des pas les dérangeait et ils se croyaient menacés.
Mais ce n’était certainement pas deux femmes qui avaient pu les effrayer.
Il chercha le trou par où les frelons auraient pu
sortir et ne vit rien. Puis, il aperçut les restes d’un nid brisé, dans une
ornière du chemin. Les nids formaient de grosses boules, parfois de plus d’un
pied de largeur. Les guêpes le fabriquaient à partir des fibres de bois,
quelles transformaient en fines feuilles. Or, les feuilles étaient dispersées,
comme si le nid était tombé d’une grande hauteur. Il n’en restait que des
morceaux épars avec quelques frelons bourdonnant autour. Il leva les yeux. Les
ramures d’un grand chêne couvraient le chemin. Le nid devait être accroché à
une branche et s’être détaché au passage des femmes. Un abominable concours de
circonstances.
On entendit le roulement d’une charrette. Ils se
retournèrent. Jehan le Flamant arrivait. Ayant fait atteler une carriole à deux
roues, il conduisait le cheval aussi vite qu’il le pouvait sur le sentier
raviné. Derrière lui courait Alaric et son cousin Ferrand, puis la robuste
femme de Jehan, bien reconnaissable à ses cheveux roux et son opulente
poitrine. Ensuite venaient Espes Figueira, en larmes, et Godefroi le Saxon avec
Jeanne, sa femme. Plus loin encore, la sœur de Thomas le cordonnier.
— Avez-vous de l’eau ? cria Guilhem.
— Oui, seigneur ! répondit Jehan,
brandissant une gourde de cuir.
Essoufflé, Jehan tendit la gourde à son seigneur
qui commença à laver doucement le visage d’Amicie, utilisant un pan du manteau
pour l’éponger. En même temps, il avait conscience que ces soins étaient
dérisoires.
Jeanne s’occupait d’Ermessinde.
— Qui a l’habitude des piqûres ? lança
Guilhem.
— Il faut mettre de l’eau froide, seigneur,
répondit Ferrand qui paraissait sûr de lui.
— Des herbes écrasées, de la lavande ou du
thym, seigneur, haleta la sœur de Thomas. Je peux aller en chercher.
— Non, mettons dame Amicie et Ermessinde sur
le chariot et transportons-les au château, décida Guilhem. Nous les soignerons
mieux à l’intérieur.
Ferrand et Alaric entreprirent de faire tourner la
carriole, ce qui fut difficile tant le chemin était étroit. Puis, délicatement,
les hommes saisirent les corps des deux femmes pour les déposer sur le plateau.
Ils rentrèrent ensuite dans une
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