Montségur et l'enigme cathare
une forme déjà contenue potentiellement en eux. Est-ce
à dire que les Cathares sont des faux dualistes et que leur doctrine visait à
prouver, tout au moins pour ceux qui pouvaient aller jusqu’au bout du
raisonnement, que tout revenait à une ténébreuse et profonde unité ? En un
mot, s’agissait-il de prétendre que Satan est en Dieu ? À moins qu’il ne
faille comprendre que le Dieu de Lumière, le Dieu primordial, contient à la fois le Bien et le Mal ?
On dira que la théologie catholique n’est pas éloignée de
cette conclusion. Mais elle sauve tout l’édifice par l’intervention du Libre
Arbitre. Si Dieu a laissé la liberté à ses créatures, la chute des Anges et le
péché originel d’Adam sont la conséquence de cette liberté, et, dans ces
conditions, Dieu n’est pas à la fois le Bien et le Mal : il laisse le
choix. Bien sûr, saint Augustin atténuera la portée de ce choix en le
soumettant à la grâce divine, seule capable de guider, de montrer la voie à
suivre, mais l’accent est quand même mis sur la responsabilité individuelle. Or
les Cathares rejettent le Libre Arbitre. En fait, il n’y a pas de choix. « Pour
une doctrine qui enseignait que les bons sont éternellement avec le vrai Dieu
et les mauvais avec le Démon, cette mise en place des hiérarchies célestes
excluait absolument la liberté » (René Nelli).
Donc les mauvais Anges ont été créés mauvais de toute
éternité. Mais, par la théorie de l’émanation qui posait une hiérarchie allant
du moins néantisé (Jésus) au néant absolu (Satan), certains théologiens
cathares en sont arrivés à prétendre que Satan lui-même serait sauvé à la fin
des Temps, car la fin des Temps ne peut survenir que lorsque aucune âme ne sera
plus à sauver. Alors, il n’y a plus d’enfer éternel, plus de Mal existant en
dehors de Dieu. Dieu est à la fois le Bien et le Mal, mais ceux-ci, à l’état
absolu, ne constituent pas un antagonisme. C’est lorsque la création fait
apparaître une relativité que le Bien et le Mal, relativisés eux aussi et
séparés, s’affrontent en une lutte qui ne prendra fin que par la fin du relatif
et le retour à l’Absolu.
Position hérétique qu’aucun théologien catholique n’a osé
soutenir. Les Cathares eux-mêmes ont pris beaucoup de précautions pour le dire
sans trop le dire. Il est évident que les Croyants et même une partie des
Parfaits simplifiaient le problème et se contentaient de l’image classique d’un
Satan créateur de la matière, entouré de multiples démons, ceux-ci étant d’ailleurs
revêtus des mêmes oripeaux que chez les catholiques. Seuls les théoriciens en
venaient à cette vision des choses. Mais cette vision est incontestablement moniste , et n’a rien à envier au monisme intégral
que professaient les Druides.
Alors, convergence ? Oui, mais à l’analyse en
profondeur. En fait, la doctrine cathare se contente d’être une tentative d’explication
de la misère humaine et de l’imperfection du monde. Si l’on reprend le symbole
de la Lumière solaire qui se répand à travers l’espace, qui émane autour d’un
point central, on peut en conclure que le mal n’est autre que la conséquence de
l’éloignement de ce point central. Le Mal est donc une imperfection, une
imprégnation moindre de la Lumière. Il ne faut donc pas parler de négation, ni
définir Satan comme un négateur : le Mal se résumerait non pas comme
absence de Bien, mais comme absence de Lumière
primordiale .
Dans ce cas, la doctrine cathare paraît proche de la conception
druidique, car pour les Celtes, le monde est un perpétuel devenir dans lequel
il ne peut y avoir ni Bien, ni Mal, mais des mouvements qui ne sont pas
toujours harmonisés entre eux, et que les êtres, participant de cette création
continue, doivent amener à sa perfection, c’est-à-dire son achèvement. Alors, il
n’y aura plus de contradictions internes. Mais il n’y aura plus rien : le
monde n’existe que par l’effort que soutiennent les êtres pour alimenter le
devenir. Ce devenir sera éternel, d’ailleurs, dans la pensée druidique, et Dieu,
qui est l’ensemble des êtres et des choses, n’est pas,
mais devient .
La grande différence entre Cathares et Celtes, c’est
justement le fait qu’il n’y a pas chez ces derniers de Dieu primordial : Dieu
est l’aboutissement de l’action collective des êtres, et ces êtres proviennent
simplement d’un Dieu tout en
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