[Napoléon 1] Le chant du départ
de la République. On dit : “Nous ne craignons pas ce Bonaparte, nous avons Pichegru.” Il faut demander qu’on arrête ces émigrés, qu’on détruise l’influence des étrangers. Il faut exiger qu’on brise les presses des journaux vendus à l’Angleterre, plus sanguinaires que ne le fut jamais Marat. »
Lorsque ses hommes de plume – Jullien, un Jacobin, Regnault de Saint-Jean-d’Angély, ancien membre de la Constituante, Arnault, un écrivain – sont partis, il appelle Berthier. Il veut que chaque matin on lui fasse la lecture des principaux journaux, français et étrangers. La situation à Paris est incertaine. Il s’agit, comme à la guerre, de ne rien laisser au hasard. L’opinion compte.
Entre chacune de ses phrases, il s’interrompt. « Il faut à la nation un chef, un chef illustre par la gloire, dit-il, et non par des théories de gouvernement, des phrases, des discours d’idéologues auxquels les Français n’entendent rien… Une République de trente millions d’hommes, quelle idée ! Avec nos moeurs, nos vices ! C’est une chimère dont les Français sont engoués, mais qui passera avec tant d’autres. Il leur faut de la gloire, des satisfactions de la vanité ; mais la liberté, ils n’y entendent rien. Voyez l’armée : les succès que nous venons de remporter, nos triomphes ont déjà rendu le soldat français à son véritable caractère. Je suis tout pour lui. »
Puis il regarde longuement Berthier. On ne peut pas tout dire, même à celui qui vous est fidèle. Et cependant il faut suggérer, pour que cet homme comprenne, aide le dessein à prendre corps.
« Un parti lève la tête en faveur des Bourbons, reprend Napoléon. Je ne veux pas contribuer à son triomphe. Je veux bien un jour affaiblir le parti républicain, mais je ne veux pas que ce soit au profit de l’ancienne dynastie, définitivement je ne veux pas du rôle de Monk qui rétablit la monarchie en Angleterre après Cromwell, je ne veux pas le jouer, et je ne veux pas que d’autres le jouent… »
C’est mon « système » : je joue pour moi.
Le 9 septembre. Napoléon ouvre la lettre que lui adresse, par courrier spécial, Lavalette. Les idées se bousculent.
Le 4 septembre – 18 Fructidor –, à trois heures du matin, Paris a été militairement occupé par les troupes d’Augereau. Les royalistes ont été arrêtés. Barras triomphe. Carnot est en fuite. Barthélemy, l’autre Directeur, fidèle du club de Clichy, a été pris. Le Conseil des Cinq-Cents et le Conseil des Anciens ont été épurés. D’énormes affiches ont reproduit sur tous les murs de Paris les papiers de D’Antraigues. « Mon ouvrage », dit Napoléon en repliant la lettre.
C’est Napoléon qui a envoyé Augereau à Paris et dévoilé la trahison de Pichegru.
Pichegru est arrêté.
Quelques jours plus tard, un autre courrier annonce à Napoléon la mort du général Hoche, depuis longtemps tuberculeux, et la mise à la réforme du général Moreau, suspect de complicité avec les royalistes.
Je suis désormais le seul .
Il faut rassurer ces Directeurs qui viennent de se renforcer et qui peuvent craindre maintenant ce général glorieux dont on acclame le nom à Paris, que des journaux soutiennent.
Alors, le 10 octobre, Napoléon s’installe à sa table et écrit aux directeurs : « Je veux rentrer dans la foule, prendre le soc de Cincinnatus et donner l’exemple du respect pour les magistrats et de l’aversion pour le régime militaire qui a détruit tant de républiques et perdu plusieurs États. »
Êtes-vous rassurés, messieurs les Directeurs ?
28.
— Moi, commence Napoléon.
Il se tient dans le salon du château de Passariano où habituellement il reçoit le comte de Cobenzl.
Le plénipotentiaire de Vienne doit arriver de Campoformio dans quelques minutes et Napoléon est décidé à terminer la négociation de paix. Maintenant que le danger de coup d’État royaliste à Paris est écarté, il faut qu’aux yeux de tous les Français Napoléon soit l’homme de la paix.
— Moi, je n’ai point d’ambition, reprend Napoléon en regardant Berthier qui vient de lui lire les journaux parisiens.
Ils chantent tous les louanges du général Bonaparte.
— Ou, si j’en ai, continue-t-il, elle m’est si naturelle, elle m’est tellement innée, elle est si bien attachée à mon existence, qu’elle est comme le sang qui coule dans mes veines ; comme l’air que je respire ;
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