Napoléon
L’Empereur, mort de fatigue, laisse ses lieutenants poursuivre l’ennemi en retraite et regagne Dresde à huit heures du soir. Il est à un tel point trempé par la pluie que, remarque un témoin, « la partie de derrière de son chapeau lui pend sur le dos ». Ses bottes, nous dit Constant, « prenaient l’eau par le collet de son habit, elles en étaient entièrement remplies ». Le roi de Saxe l’embrasse en cet équipage... et Napoléon, qui tremble de fièvre, se jette dans un bain brûlant. Mais il est pris de vomissements et, le lendemain samedi, dès cinq heures du matin, le voici dispos : il saute à cheval et va se placer sur la colline de Roednitz. Durant cette troisième journée de la bataille de Dresde, on pourchasse partout l’adversaire qui se replie. Ce soir-là, l’Empereur éprouve un nouveau malaise et regagne Dresde en voiture pour se mettre au lit.
Rétabli le lendemain, il écrit à Marie-Louise : « J’ai bien rossé le prince Schwarzenberg et l’empereur Alexandre. Les troupes de papa François n’ont jamais été si mauvaises ; elles sont mal tenues, toutes nues. J’en ai fait vingt-cinq mille prisonniers, trente drapeaux et bien des canons. Je vais t’envoyer tout cela... »
La prédiction de Marmont s’accomplit. Si, devant Dresde, l’Empereur a remporté un succès, il n’en a pas été de même ailleurs. Macdonald a été battu par Blücher tandis qu’Oudinot se trouve arrêté par Bernadotte sur la route de Berlin. Le maréchal est obligé de donner l’ordre à son armée de se retirer, d’autant plus que le corps saxon s’est débandé. Le 30 juillet, Napoléon, toujours à Dresde, apprend une troisième catastrophe : le désastre de Kulm. Vandamme, chargé de poursuivre les vaincus de Dresde, a été attaqué de dos par les Prussiens de Kleist et de face par les Russes d’Ostermann. Pris entre deux feux, il a dû se rendre. L’événement fait perdre aux forces impériales douze à treize mille hommes, prisonniers, blessés ou tués.
Le lendemain, un familier entend Napoléon déclamer à mi-voix ces vers de Voltaire :
J’ai servi, commandé, vaincu quarante années,
Du monde, entre mes mains, j’ai vu les destinées,
Et j’ai toujours connu qu’en chaque événement,
Le destin des États dépend d’un seul moment.
Le 3 septembre, l’Empereur quitte Dresde pour se porter au-devant de Blücher, le vainqueur de Mac-donald... mais le général prussien suit, lui aussi, les conseils de Bernadotte et se dérobe. « Aussitôt que l’ennemi a appris que j’étais à l’armée, annonce Napoléon à Maret, il s’est enfui à toutes jambes et dans toutes les directions. Il n’y a pas eu moyen de l’atteindre ; à peine ai-je tiré un ou deux coups de canon... »
Et ce n’est pas tout ! Napoléon, en reprenant le chemin de Dresde, reçoit la nouvelle de la défaite de Ney battu par Bernadotte à Dennewitz, défaite aggravée par l’abandon d’une partie des Saxons et d’une division de Bavarois passée à l’ennemi...
— Partout où je ne suis pas en personne, on ne fait que des sottises ! s’exclame-t-il.
Ney, accablé, supplie l’Empereur de lui permettre de quitter « cet enfer » :
— Commander ainsi, lui dit-il, n’est que commander à demi, et j’aimerais mieux être grenadier !
Napoléon hausse les épaules. Qu’importe le découragement de Ney ! Il lui faut avant tout regrouper ses forces :
— Dans ma position, tout plan où, de ma personne, je ne suis pas au centre est inadmissible. Tout plan qui m’éloigne établit une guerre réglée où la supériorité de l’ennemi en cavalerie, en nombre, et même en généraux me conduirait à une perte totale.
Le dimanche 12 septembre, après s’être rendu à Breitnau, l’Empereur est revenu à Dresde. Les maréchaux, toujours vaincus dès que Napoléon n’est pas auprès d’eux, sont de plus en plus aigris et consternés. L’Empereur n’en poursuit pas moins son projet : concentrer ses armées. Il lui faut des hommes, et encore des hommes ! Il signe le décret appelant trois cent mille nouvelles recrues qui seraient prêtes à combattre – du moins le pense-t-il – au printemps de 1814.
Où s’arrêtera cette folie ?
La grande – et définitive – bataille se prépare.
Toute l’Allemagne grouille de régiments français se dirigeant vers l’Empereur. Napoléon pense même retirer et emmener avec lui les trente mille hommes qui occupent
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