Napoléon
que vous, Caulaincourt. Ne cherchez pas à prolonger mon agonie. Ce que j’ai éprouvé depuis quinze jours est bien plus douloureux que le moment actuel.
« Je cherchais vainement à m’échapper, écrira Caulaincourt, à appeler quelqu’un près de lui ; il me retenait avec une force irrésistible. Les portes étaient fermées, le valet de chambre ne m’entendait pas. Le hoquet augmentait ; ses membres se raidissaient ; son estomac et son corps se soulevaient. Un froid de glace avait succédé à une sueur froide puis à une chaleur brûlante... Il me parut faire ce qu’il pouvait pour s’empêcher de vomir ; ses dents étaient serrées. »
— Qu’on a de la peine à mourir ! Qu’on est malheureux d’avoir une constitution qui repousse la fin d’une vie qu’il me tarde tant de voir finir !
Mais bientôt les vomissements se succèdent... l’Empereur retient son écuyer avec une telle force qu’un côté de l’uniforme de Caulaincourt manque de lui rester entre les mains. Finalement, le grand écuyer parvient à s’échapper et à chercher de l’aide.
— Docteur, s’écrie l’Empereur en voyant entrer Yvan, donnez-moi une autre dose plus forte ! C’est un devoir pour vous.
Napoléon insiste à un tel point que « Yvan perd tout à fait la tête, nous raconte Méneval ; il sort précipitamment de la chambre pour aller tomber dans la pièce voisine sur un fauteuil où il éprouve une violente attaque de nerfs. Peu d’instants après, il descend dans la cour et, trouvant un cheval sellé attaché à l’une des grilles, il l’enfourche et s’éloigne au galop. »
On ne le reverra plus.
Dans la chambre de l’Empereur, la scène se poursuit, terrible. Le malade souffre atrocement. « Son visage est profondément défait, on peut dire renversé, les traits contractés. » Au matin, « il est d’un changement effrayant ». Non sans peine, Caulaincourt parvient à soutenir Napoléon jusqu’à la fenêtre ouverte... Peu à peu le spectre de la mort s’éloigne.
— J’ai pris mon parti... Je vivrai puisque la mort ne veut pas plus de moi dans mon lit que sur le champ de bataille. Il faudra aussi du courage à supporter la vie après de tels événements.
Quelques heures plus tard, il accepte de signer le traité qui donne à l’homme qui a régné de Hambourg à Rome la souveraineté de l’île d’Elbe – ce caillou dont il avait vu autrefois, de sa Corse natale, la silhouette se découper à l’horizon...
XXII
LA CALADE
La France aime trop le changement pour qu’un gouvernement y dure.
N APOLÉON .
C E même matin, le valet de chambre Hubert gratte à la porte de la chambre et vient annoncer l’arrivée de la comtesse Walewska.
Marie ! Son épouse polonaise ! Après la naissance de son fils, Masie n’avait tout d’abord pas osé quitter la Pologne. Avec son tact délicieux elle avait senti qu’un retour rapide en France indisposerait l’Empereur qui semblait maintenant un jeune marié amoureux et paraissait n’être occupé que de satisfaire son épouse.
Elle n’avait repris le chemin de la France qu’après avoir reçu cette lettre de l’Empereur datée du 3 septembre 1810 :
« Madame,
« Le duc de Frioul me montre une lettre par laquelle je vois que vous n’avez pas reçu celle où. Je vous faisais connaître tout le plaisir que j’avais éprouvé des nouvelles qu’a apportées votre frère. Si votre santé est bien rétablie, je désire que vous veniez sur la fin de l’automne à Paris où je désire fort vous voir. Ne doutez jamais de l’intérêt que je vous porte et des sentiments que vous me connaissez. »
Elle s’était installée d’abord à Boulogne dans une charmante maison de campagne qui existe encore au 7 de la rue de Montmorency. Lorsqu’il se trouvait à Saint-Cloud, l’Empereur venait parfois lui rendre visite. Fort heureusement, la nouvelle impératrice, aussi jalouse que Joséphine, ne parut se douter de rien et lorsque le 31 décembre 1810 Mme Walewska fut officiellement présentée aux petits appartements des Tuileries, Marie-Louise laissa tomber sur elle le même regard indifférent qu’elle faisait habituellement glisser sur l’assemblée... Une compatriote de Marie, présente, elle aussi, le racontera.
« Pas un sourire bienveillant, pas un regard curieux qui vinssent animer ce visage de bois. Elle fit le tour du cercle allant de l’une à l’autre comme ces poupées à mécanique qui roulent
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