Napoléon
soir du 12 avril, Marie-Louise quitte Orléans. L’empereur François a envoyé au-devant d’elle, pour la conduire à Rambouillet, les princes Esterhazy et Lichtenstein. Après avoir parlé avec les deux représentants de son père, un doute commence déjà à percer dans son esprit. La laissera-t-on rejoindre ensuite son mari ? « Il faudrait être bien barbare pour m’en empêcher, écrit-elle à Napoléon, et si on le voudrait, je t’assuré que l’on ne pourrait pas. Je veux partager ton malheur, je veux te soigner, te consoler, t’être utile et adoucir tes chagrins. Je sens que j’ai besoin de cela pour vivre, pour ne pas succomber à ce dernier coup. »
Cependant, dès les premiers tours de roues, en compagnie des deux princes, Marie-Louise comprend qu’elle et son fils sont prisonniers. En pleine nuit, sur la route d’Orléans à Rambouillet, elle parvient à griffonner ce mot au crayon : « Il y a des ordres pour m’empêcher d’aller te rejoindre, même à recourir à la force. Sois sur tes gardes, mon cher ami, on nous joue... »
Cette nuit du mardi 12 au mercredi 13 avril, Napoléon, qui n’a cependant pas encore reçu les deux dernières lettres de l’Impératrice, a tout deviné. Ce même jour il a appris, peu avant midi, que le comte d’Artois, frère de Louis XVIII, avait fait son entrée dans Paris, pavoisé de blanc, et était allé s’installer aux Tuileries. La foule avait embrassé ses bottes, et même l’encolure et le poitrail de son cheval... À la barrière de Bondy, le futur Charles X avait été accueilli par les maréchaux Ney et Moncey !
On lui a rapporté encore que des officiers russes avaient jeté par les fenêtres des pièces d’argent aux passants pour leur faire crier Vive les Bourbons ! « Ils se les arrachaient en roulant, nous dit Emile Labretonnière, et se précipitaient à terre avec une avidité qui faisaient éclater de rire les officiers étrangers. » Dégoûté, un vieux capitaine de l’armée du tsar s’était mis seul à une croisée et ne jetait des pièces qu’à ceux qui, avec lui, criaient Vive Napoléon !
Tard dans la soirée, entre les quatre murs de sa chambre ornés de quarante N dorés et où l’aigle autrichien – celui de Marie-Antoinette et de Marie-Louise – surmonte la cheminée, l’Empereur passe ce que Louis Madelin appelle si justement « la revue des abandons et des trahisons ». Puis, il congédie Caulaincourt. Le grand écuyer regagne sa chambre « frappé et affecté » par cette phrase que Napoléon a répétée comme un leitmotiv :
— La vie m’est insupportable... insupportable !
À trois heures du matin, un valet vient le chercher : l’Empereur le demande. Vite ! Qu’il se hâte ! Lorsque le grand écuyer pénètre dans la chambre, il voit son maître couché. Une lampe de nuit éclaire faiblement les ors de la pièce.
— Approchez et asseyez-vous !
La voix est d’une faiblesse extrême.
Napoléon, étendu sur le lit où volettent des abeilles, vient de tenter de se suicider. Entre deux hoquets, il avoue à Caulaincourt, terrifié, qu’il a pris du poison préparé jadis par le docteur Yvan et qu’il porte à son cou depuis le hourra de Malo-Yaroslavetz, au lendemain du départ de Moscou. La raison ? Il la donne à son écuyer en s’interrompant souvent « comme quelqu’un qui éprouve des angoisses qui suspendent les facultés » :
— Je prévois qu’on va me séparer de l’Impératrice et de mon fils ; on va me réserver toutes sortes d’humiliations ; on cherchera sûrement à m’assassiner, au moins à m’insulter, ce qui serait pour moi pire que la mort... On ne me laissera pas arriver à l’île d’Elbe. J’ai bien pesé ma situation, bien réfléchi sur ma position.
Non sans peine, il saisit une lettre sous son oreiller. Elle est destinée à l’Impératrice : « Tu es ce que j’aime le plus au monde. Mes malheurs ne me touchent que par le mal qu’ils te font... Donne un baiser à mon fils. Adieu, chère Louise. Tout à toi... »
Caulaincourt pleure à chaude ? larmes.
— Donnez-moi votre main, reprend l’Empereur... Embrassez-moi ! Dans peu, je n’existerai plus. Portez ma lettre à l’Impératrice... Dites-lui que je meurs avec le sentiment qu’elle m’a donné tout le bonheur qui dépendait d’elle.
Un hoquet le force à s’interrompre. Le grand écuyer veut appeler à l’aide, mais l’Empereur l’en empêche :
— Je ne veux
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