Napoléon
second retour de l’île d’Elbe. La solution préconisée par Blücher – le peloton d’exécution – n’aurait pas eu l’approbation du grand seigneur qu’était le duc de « Wellington. Alors, que faire de ce « belligérant indépendant » ? Lord Liverpool le précisait :
— La solution la plus facile serait de le livrer au roi de France qui le jugerait en rebelle, mais dans ce cas il doit être jugé de telle manière qu’il n’ait aucune chance de s’échapper.
Louis XVIII avait, on s’en souvient, déclaré « Napoléon Bonaparte traître et rebelle pour s’être introduit à main armée dans le département du Var ». Que ne serait-il pas obligé de faire, maintenant que le revenant de l’île d’Elbe, toujours à main armée, s’était introduit jusqu’aux Tuileries ? Mais le procès, puis l’exécution, ou même l’emprisonnement, de l’Empereur aurait assurément déclenché en France une guerre civile, qui pouvait sérieusement ébranler le trône à peine raffermi de l’ex-comte de Provence.
Était-ce souhaitable ?
Par ailleurs, devant l’Histoire, il semblait difficile de livrer aux Bourbons celui qui considérait l’Angleterre comme « le plus généreux de ses ennemis ». Point d’autre solution donc que de garder cet individu – this fellow – et de le bien garder ! Napoléon ne dira-t-il pas à Sainte-Hélène :
— En allant aux États-Unis, je pouvais en revenir deux ou trois mois plus tard.
Le mieux parut au cabinet de Saint-James de reprendre le projet déjà agité au Congrès de Vienne : enfermer le perturbateur, non en Angleterre entre quatre murs – décision qui eût paru n’être point digne de vrais gentlemen – mais dans une île où «s’érigerait un jour son tombeau ». Là, il serait traité avec humanité et pourrait garder auprès de lui quelques-uns de ses officiers et de ses domestiques. Rapidement, pour différentes raisons, furent écartées les îles Maurice, Sainte-Lucie ou de la Trinité. Sainte-Hélène, perdue au milieu de l’Atlantique sud, parut vite le lieu idéal – pour les geôliers s’entend. L’île n’appartenait pas à la Couronne, mais à la Compagnie des Indes. Ce détail n’avait d’ailleurs guère d’importance. On indemniserait la Compagnie ! Une seule chose comptait : cet ancien volcan se présentait comme une forteresse à l’échelle d’un titan. Ses falaises tombaient d’une hauteur vertigineuse dans la mer, et, lorsque l’on quittait le seul port de l’île pour entrer dans l’unique «ville », on semblait pénétrer dans un château fort. Le perturbateur était revenu de l’île d’Elbe, il ne reviendrait pas de Sainte-Hélène ! Cet îlot que Napoléon, le 30 septembre 1804, avait d’ailleurs pensé faire occuper par une croisière française, en précisant : « il faut pour cet objet 1 200 à 1 500 hommes ». Étonnant retour des choses : cet objet deviendrait sa prison !
Le gouvernement britannique affirmait, en outre – et avec sincérité – que le climat y était excellent. Ces messieurs ne semblaient pas avoir été prévenus qu’il y avait dans l’île plusieurs climats selon l’endroit où l’on fixait sa résidence, ou même selon les saisons – des saisons d’ailleurs inversées.
Cependant, pour l’instant, l’Empereur ignore encore tout des décisions qui viennent d’être prises... Certes, avant son évasion de l’île d’Elbe, avait-il déjà été question de sa déportation à Sainte-Hélène, mais Napoléon pensait que sa reddition loyale remettait tout en question.
Le matin du lundi 24 juillet, la rade de Tor bay se couvre d’embarcations qui se pressent autour du Bellerophon. Les curieux essayent d’apercevoir la célèbre silhouette. À leur intention, les marins de Maitland tracent à la craie, sur une ardoise, des inscriptions : Il déjeune... Il est dans sa cabine... Il écrit avec ses officiers. Lorsque Napoléon monte sur le pont – il le fit ce jour-là à plusieurs reprises – et qu’il soulève son chapeau, ce ne sont point des cris de haine qui montent vers lui, mais des hourrah. Cet accueil le tranquillise un peu car il avait lu, avec malaise – l’expression est de Maitland – les journaux que le capitaine lui avait fait parvenir. Le nom de Sainte-Hélène se trouvait déjà inscrit dans l’une des gazettes, mais Napoléon affecta de considérer « la chose comme un simple bruit de journal » reproduisant,
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