Napoléon
l’armée française est entrée à Naples. Aussitôt l’enthousiasme touche au délire. Le lendemain, tout Paris se porte à la parade du Carrousel. La foule acclame longuement les vainqueurs d’Austerlitz « qui viennent de fixer le sort de l’Europe ».
Et Caroline ?
— La reine de Naples a cessé de régner, répond l’Empereur à quelqu’un venu lui demander quel serait le sort de la soeur de Marie-Antoinette.
Quant au royaume de Naples, il l’offre d’abord à Joseph :
— Je veux asseoir sur ce trône un prince de ma maison : vous d’abord, si cela vous convient, un autre si cela ne vous convient pas.
Joseph qui, l’année précédente, a refusé le royaume d’Italie pour ne pas devoir abandonner ses « droits » à l’empire français, accepte le trône du roi Nasone puisqu’il peut demeurer, cette fois, l’héritier de son frère. Par ailleurs Napoléon – hommage de l’arrière-cadet à l’aîné – donne l’ordre de continuer à lui verser son traitement de trois cent trente-trois mille trois cent trente-trois francs, attaché à la charge de Grand Électeur...
Joseph, parti rejoindre son poste, prend aussitôt son rôle de roi de Naples au sérieux. Il essaye de faire passer les intérêts financiers napolitains avant ceux de l’Empire français et, tant que faire se peut, exerce son droit de grâce. Sa tolérance et sa mansuétude lui valent même une mercuriale impériale : Pour Napoléon, dans un pays conquis « la bonté n’est pas de l’humanité ». Il le lui précise : « Mon frère, ce n’est pas en cajolant les peuples qu’on les gagne, et ce n’est pas avec ces mesures que vous donnerez les moyens d’accorder de justes récompenses à votre armée. Mettez trente millions de contributions sur le royaume de Naples. Je n’entends pas dire que vous ayez fait fusiller aucun lazzarone. » Et Joseph de répondre fort penaud :
« Votre Majesté ne doit pas être inquiète ; on fait fusiller tout ce qui mérite de l’être. »
Le 14 mars, moins d’une semaine après la lettre de reproches adressés à Joseph, Napoléon, hanté par l’idée de « ressusciter l’Empire d’Occident » – ainsi qu’il l’avait déclaré au Conseil – fait savoir qu’il a décidé d’ériger la Hollande républicaine, actuellement « sans pouvoir exécutif », en royaume sur lequel régnerait son frère Louis. Cependant, l’amiral Verhuel, chargé par l’Empereur de prendre à La Haye le pouls de l’opinion, « doit au dévouement sans bornes qu’il porte à l’Empereur, précise-t-il sans ambages, de lui dire avec franchise que la première ouverture des intentions de Sa Majesté a fait naîtreune consternation générale ». Schimmelpenninck, Grand Pensionnaire qui occupe les fonctions de stat-houder, sans en avoir le titre trop royal, fait savoir de son côté à Napoléon que « son projet est tout à fait inadmissible ». L’Empereur ne l’écoute pas plus que l’amiral Verhuel. Comment la Hollande pourrait-elle lutter ? Si elle ne veut pas être purement et simplement annexée, il n’est point question pour elle de refuser de se convertir en royaume. La République batave, créée sous le Directoire, ne se trouve-t-elle pas en pleine impasse budgétaire ? Elle doit en effet deux cent vingt-neuf millions à la France et son déficit annuel atteint quarante-cinq millions ! Il faut donc se résigner ! Mieux : l’Empereur exige que les Hollandais demandent eux-mêmes leur changement de régime. Napoléon « condescend » alors à accorder l’investiture au nouveau souverain choisi par les républicains bataves et on verra – le 5 juin 1806 – une malheureuse députation néerlandaise se prétendant « chargée d’exprimer le voeu des représentants du peuple hollandais », reçue aux Tuileries dans la salle du trône :
— Nous prions Votre Majesté, déclare Verhuel, de nous accorder comme chef suprême de notre République, comme roi de Hollande, le prince Louis, frère de Votre Majesté, auquel nous remettons avec une entière et respectueuse confiance la garde de nos lois, la défense de nos droits politiques et tous les intérêts de notre chère patrie.
L’Empereur qui, ce jour-là, doit assurément penser à Louis XIV offrant son petit-fils à l’ambassade espagnole venue lui demander un roi, répond, après un bref silence :
— Messieurs les représentants du peuple batave, j’ai toujours regardé comme le
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