Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
paraît bête », écrit André Gide dans le livre célèbre qu’il publie à son retour du Congo 2 . Dans ce récit de voyage, il dénonce les excès dont se rendaient coupables les pires vecteurs de l’exploitation : les sociétés concessionnaires, ces grandes compagnies privées à qui l’État avait délégué la gestion des ressources du pays, faute de pouvoir s’en occuper.
Le récit de Gide est moins isolé qu’on ne le croit, d’ailleurs. L’histoire coloniale est émaillée de scandales qui bouleversent la métropole, quand elle les apprend. Dès les premiers temps de la « pacification de l’Algérie », quelques généraux français, prétextant les horreurs dont se rendent coupables les Arabes, en inventent d’autres : par trois fois, durant l’été 1845, ils allument des feux devant les grottes où se sont réfugiés des villageois pour les asphyxier. La nouvelle des « enfumades » indigne Paris, provoque des incidents à la Chambre et, selon le très rigoureux Dictionnaire de la France coloniale , suscite des pétitions jusque dans les écoles.
En 1898-1899, deux officiers français, Voulet et Chanoine, à la tête d’un millier d’hommes, dirigent une « mission » au Tchad et, peut-être pris de folie, répandent terreur et barbarie partout où ils passent, massacrant des populations, brûlant les villages. Alerté, Paris finit par envoyer un colonel constater ce qui se passe. Il est abattu par les deux déments alors qu’il approche de la colonne. La presse s’empare de l’affaire, il est vrai que le scandale est énorme : détruire des villages, c’est une chose, mais tirer sur un officier français…
En 1903, en Oubangui-Chari (l’actuelle République centrafricaine), deux petits fonctionnaires coloniaux, cherchant un moyen, diront-ils, de « méduser les indigènes pour qu’ils se tiennent tranquilles », se saisissent de l’un d’entre eux et le font sauter vivant à la dynamite. Nous sommes le 14 juillet. La date était mal choisie. La nouvelle déclenche en France un tel tollé que le gouvernement décide de dépêcher sur place le vieux Brazza, celui-là même qui avait conquis la région vingt ans auparavant pour lui apporter les bienfaits du progrès. Il sera tellement atterré de ce qu’il y découvrira qu’il mourra sur le bateau du retour. L’étonnant est que rien de tout cela ne pousse quiconque à ce qui nous semble aujourd’hui évident : remettre en cause le système lui-même.
Une pure domination raciste
Car il est bien là, ce point têtu auquel on vient enfin. L’histoire coloniale était viciée dans son principe même : elle n’a jamais été autre chose que l’organisation d’une domination raciste. Nul ne s’en cachait, la chose avait été officialisée dès le départ par Jules Ferry, un de ses plus grands apôtres. Le 28 juillet 1885, dans le brouhaha d’un grand débat parlementaire sur les fondements de la politique coloniale, il en donne les tenants et les aboutissants : les « races supérieures ont des droits parce qu’elles ont des devoirs : le devoir de civiliser les races inférieures ».
Ce sentiment de supériorité n’est pas une spécificité française, tous les peuples européens pensaient la même chose au même moment, tous se vivaient comme les seuls « civilisés » quand le reste du monde était, par définition, peuplé de « sauvages ». Par ailleurs, la République prend soin d’habiller sa « mission civilisatrice » des plus nobles oripeaux. Toutes les conquêtes coloniales, nous rappelle La République coloniale 3 , ont été initiées sous des prétextes humanitaires : il s’agit toujours de sauver des peuples d’affreux despotes ou de les arracher à des pratiques horribles. L’esclavage en est une. Deux mois après qu’il a obtenu la soumission de Madagascar, le général Gallieni le fait abolir et reçoit pour cela une magnifique médaille de la grande société antiesclavagiste de Paris. Quelques semaines plus tard, il introduit dans la Grande Île le « travail forcé » : l’organisation d’épouvantables corvées auxquelles sont soumis de force, et sans contrepartie de salaire, les « indigènes ». L’histoire se répétera partout. Partout, la République arrive avec la Déclaration des droits de l’homme en bandoulière, partout, elle se hâte bien vite de rappeler que, dans les faits, il faudra attendre pour les mettre en œuvre. Dans toutes les colonies
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