Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
le vrai problème des Français : ces gens ont un gène qui les prédispose à la déficience mentale. Les médecins français font une découverte tout aussi importante : l’urine allemande est surchargée d’azote, c’est la raison pour laquelle leurs soldats sentent si mauvais.
Revenons plutôt à l’image générale de l’ autre construite alors, car elle est encore assez présente dans les esprits. Pour la majorité des Français d’aujourd’hui, l’Allemagne de 1914 est un pays militarisé, caporaliste, autant dire une sorte d’antichambre naturelle du nazisme. Pas du tout, nous explique encore Rovan. Le pays est au seuil d’autre chose : devenir une grande démocratie parlementaire. Il ne l’est pas tout à fait. Le Reichstag n’a guère de contrôle sur le gouvernement, qui n’est responsable que devant l’empereur. Et ce dernier garde d’énormes pouvoirs. Sur un plan personnel, Guillaume II n’est pas un modèle : il est instable, capricieux et cyclothymique, il passera d’ailleurs une partie de la guerre prostré dans ses bureaux, en dépression, laissant tout pouvoir à son État-Major. Sur un plan intellectuel, il est un esprit borné et limité, entouré d’une clique de généraux à cravache qui le sont tout autant : tous ces gens pensent assurément qu’un bon peuple est un peuple qui marche au pas. À la même époque, la droite nationaliste française, qui passe son temps à chanter les clairons et les drapeaux, pense-t-elle autre chose ?
En revanche, si on ose l’écrire, dans le domaine social, le Reich est bien plus avancé que son voisin républicain : retraites, assurance-maladie pour tous, les ouvriers allemands ont de quoi faire rêver leurs frères d’Europe. Et le premier parti du pays n’est pas un groupe d’extrême droite, c’est le très puissant SPD (Parti social-démocrate), qui donne le la aux socialistes du monde entier. Partout on révère ses grands leaders comme Bebel (qui meurt en 1913) et Kautsky, le marxiste pointilleux.
En France, en août 1914, juste après l’assassinat de Jaurès, les socialistes se résolvent à voter les crédits de guerre au nom de la « défense nationale », la défense de la liberté et des valeurs menacées par l’agression de l’Empire allemand. En Allemagne, les mêmes socialistes votent les crédits de guerre au nom de la défense de la même liberté et des mêmes valeurs, menacées par une agression qui les épouvante tout autant : celle de l’Empire russe, cette honte de l’Europe, cette survivance de temps révolus, gouverné par un autocrate de droit divin qui règne sur un peuple laissé dans l’analphabétisme et la misère. Une chose leur échappe : comment les Français, qui se disent républicains, osent être alliés à un pays pareil ?
Le point de vue de l’autre
Les deux visions du conflit lui-même sont riches d’enseignements. Quand ils pensent la Première Guerre, les Français ont une carte en tête, celle du front ouest. Ils regardent ce petit quart nord du pays qui fut martyrisé, envahi, ils pensent à l’Artois, à la Somme,
à la Meuse, ils voient l’Allemagne arc-boutée de toute sa puissance pour faire céder ce front, ils pensent : quelle héroïsme d’avoir résisté à cela ! Au passage, ils oublient que la moitié de ce front était tenu par l’ami anglais, mais passons, les Anglais font pareil et ont du mal à se souvenir qu’il y avait des soldats français en France.
Un Allemand voit la même carte de beaucoup plus haut. Ça change tout. Ouvrons la focale très large, regardons comme lui le planisphère tout entier, et plaçons-nous par exemple au printemps de 1917. Supposons que son pays et ses amis soient en bleu, qu’est-ce que cela donne ? Allemagne, Autriche-Hongrie, Empire ottoman, un petit lac au beau milieu de la carte. Mettez les ennemis en rose, Angleterre, France, leurs colonies, l’immense Russie, et maintenant les États-Unis : cela couvre tout le reste du monde.
On oublie toujours trop le point de vue de l’autre. Pour un Français, 1914-1918, c’est Joffre, c’est Foch, c’est le sursaut héroïque pour délivrer le sol de la patrie de l’envahisseur. Pour un Allemand, c’est une lutte à trois contre le monde entier, payée au prix de souffrances monstrueuses. L’Angleterre résiste à la guerre sous-marine et, dès le milieu de la guerre, impose en représailles un blocus maritime terrible à l’ennemi. Presque plus rien
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