Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
n’avaient qu’une envie, échapper à cette guerre dont ils ne voulaient pas.
L’ennemi héréditaire
On discutera encore longtemps de ce carnage, tant de pans de cette histoire restent à découvrir. Dans la perspective qui est la nôtre, contentons-nous de nous concentrer sur un point : ce que notre mémoire collective a gardé du rapport à un pays en particulier, l’Allemagne.
Cette guerre fut mondiale. On se battit en Afrique, on se battit en Ukraine, dans les montagnes bulgares, dans les sables du désert d’Arabie. Chaque peuple en garde le souvenir par son prisme local, sa bataille, son enfer et son ennemi. Pour les Français, il n’y en a qu’un, l’Allemand. La Première Guerre n’est pas considérée dans sa dimension planétaire, elle est vue comme la énième manche d’un vieux conflit avec lui. Il y a eu la partie d’avant, la guerre de 1870. Il y aura celle d’après, en 1939. Cette histoire est lue comme un long continuum au sein duquel l’adversaire est toujours le même. Les casques à pointe des uhlans de Bismarck, les soldats du Kaiser de 1914, la Wehrmacht de Hitler, ce sont toujours « les Boches ». Essayons donc de placer quelques grenades dans cette galerie de clichés.
En 1914, on s’est battu contre l’Allemagne, pense-t-on encore parfois en France, parce qu’elle était « l’ennemi héréditaire ». Nombreux étaient ceux qui le croyaient à l’époque, en tout cas, tant d’un côté de la « ligne bleue des Vosges » que de l’autre.
Seize ans plus tôt à peine, en 1898, au moment de Fachoda – les frictions en Afrique d’une mission française avec des troupes britanniques –, aussi nombreux étaient ceux qui étaient prêts à en découdre avec une autre ennemie tout aussi héréditaire : l’Angleterre. Allons, souvenons-nous, Jeanne d’Arc ; la guerre de Sept Ans au temps de Louis XV ; l’acharnement contre Napoléon ! Les maudits Anglais, toujours eux !
Un siècle auparavant, au xviii e siècle, avant la guerre de Sept Ans, justement, la France avait une autre rivale éternelle, l’Autriche et ses Habsbourg, contre qui nos rois avaient si souvent été en guerre. Et qui était contre eux notre meilleur allié ? La Prusse, la grande Prusse de Fréderic II, tant aimée avant qu’elle ne bascule contre nous.
On voit le point : notre pays a toujours eu des « ennemis héréditaires », mais dites donc, qu’est-ce que ça change, l’hérédité ! Le constat vaut d’ailleurs pour tout le monde : l’Italie a passé le xix e siècle à faire son unité contre les occupants du pays, les Autrichiens. Au début du xx e , elle se range à leurs côtés dans la « Triplice ». Elle ne vire de bord qu’en 1915 pour entrer dans l’entente franco-anglaise.
Au xix e siècle, les Bulgares se soulèvent contre ce qu’ils appellent « le joug ottoman ». Pendant les guerres balkaniques des années 1910, ils sont tantôt du côté de la Grèce contre les Turcs détestés, tantôt, quand leurs intérêts le commandent, contre les Grecs, leurs frères d’hier. Finalement, ils s’engagent dans le grand conflit au côté des mêmes Ottomans avec qui ils s’étripaient trois ans plus tôt.
Guillaume II se trouve face aux Russes en 1914, il ne se remet toujours pas d’avoir raté quinze ans auparavant l’alliance qui l’aurait rendu maître du jeu européen. En plus, le tsar était son cousin. La question des parentés entre nobles est encore une autre affaire : le roi d’Angleterre l’était aussi.
Le point intéressant, donc, n’est pas de savoir depuis combien de temps on est l’ennemi éternel de telle nation, mais de comprendre comment on s’arrangeait pour que tout le monde le croie, une fois qu’on l’était devenu. Dans la littérature nationaliste française du xix e siècle, l’Angleterre était parée de tous les vices, on en faisait un pays de boutiquiers perfides qui ne pensaient qu’à placer leur camelote et empocher des livres sterling. En 1914, elle brille soudain par ses vertus, tandis que l’Allemagne souffre de pesants préjugés.
Oublions les trouvailles poétiques de la propagande du temps de la guerre elle-même, également répandues des deux côtés du Rhin. Elles sont d’un tel niveau qu’on a préféré les escamoter rapidement, une fois la paix revenue. Dès le début du conflit, nous raconte l’historien Joseph Rovan, d’éminents savants germaniques comprennent scientifiquement
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