Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
qu’il possède déjà, il forme ce que l’on appelle l’« Empire angevin » ou encore « l’empire Plantagenêt ». Le mot s’impose. Les terres d’Henri s’étendent des Pyrénées à l’Écosse. Seulement là-dedans, il y a d’un côté de la Manche un royaume, et de l’autre des possessions qui sont, en titre, sous la suzeraineté des Capétiens. On comprend l’obsession de ceux-ci à réduire la puissance de sujets qui prennent autant de place.
Bons rois, mauvais rois
Voilà planté le cadre de l’histoire, tâchons maintenant de nous attarder sur ceux qui vont en être les héros : nos fameux rois. Hier encore, on les apprenait en litanie, un prénom, un chiffre, et parfois ce petit surnom qui faisait chanter la liste d’un rien de fantaisie : Hugues Capet, Robert II dit le Pieux , Henri I er , Philippe I er , Louis VI dit le Gros . Seulement, par souci pédagogique, les manuels prenaient toujours grand soin d’accompagner ces listes assommantes de codicilles explicatifs : tous ces rois qui se succédèrent ne pouvaient être considérés pareillement. Au contraire. Parmi eux, il en était de « bons » et de « mauvais ». On explique parfois que les historiens républicains tenaient à cette distinction pour montrer l’imperfection d’un système de pouvoir fondé sur l’hérédité : quand le peuple vote, il ne peut pas se tromper ; quand le chef n’arrive à ce poste que parce qu’il est le fils de son père, cela peut aboutir à des catastrophes. Le plus souvent, le critère pour distinguer les « bons rois » des « mauvais » était simple : les « bons » étaient ceux qui avaient fortifié ou agrandi le royaume, c’est-à-dire « la France ». Les mauvais, ceux qui, en subissant telle défaite, en manquant tel mariage, l’avaient affaibli. Évidemment, cette façon de relire l’histoire par le seul prisme national est anachronique. On peut estimer, comme on vient de l’écrire, que ces premiers Capétiens ont contribué peu à peu à dessiner l’entité qui s’appellerait la France. Il est pour autant très prématuré de penser qu’ils en avaient conscience. La nation comme on l’entend suppose le sentiment d’appartenance commun d’un peuple et de son chef à un territoire donné. Rien de tout cela n’existe dans les siècles qui nous occupent. Il n’y a pas de peuple en tant que tel. Au xi e , au xiii e siècle, un paysan, un artisan d’une petite ville, ou même un chevalier (c’est-à-dire celui qui avait assez d’argent pour se payer une armure et un écuyer, et pouvait offrir ses services armés à qui veut) sait assurément qu’il est chrétien, il a sans doute conscience qu’il est picard ou champenois à cause de la langue qu’il parle, il connaît probablement le nom du seigneur du lieu. Il n’a le plus souvent aucune idée du nom ou de l’existence du prince à qui ce seigneur-là a prêté son hommage. Il n’existe pas plus de conscience des « pays » comme on l’entend aujourd’hui, la France ou l’Angleterre. Il existe de vastes territoires que des grands, souvent apparentés, se disputent sans la moindre considération pour ceux qui y habitent, selon les règles complexes du seul jeu qui compte pour eux, la féodalité. Considérée de près, l’histoire de ces temps-là ressemble souvent à une sorte de Monopoly géant joué par quelques grandes familles toutes apparentées qui se répartissent les comtés, les duchés, les provinces : tu m’as piqué l’Artois, je te reprends le Maine. La rejouer en l’apparentant aux guerres nationales du xix e ou du xx e siècle – un pays tout entier dressé contre un autre – est absurde.
Peu importe pour l’instant, ne méprisons pas l’usage de l’anachronisme dans cette histoire. Au contraire, servons-nous-en à notre tour. Il nous faut maintenant présenter au moins quelques-uns des plus célèbres parmi ces 15 Capétiens en ligne directe qui se succèdent de 987 à 1328 (date de la mort sans héritier direct de Charles le Bel, dernier à régner des fils de Philippe le Bel). Eh bien appliquons-leur le régime qu’on leur a toujours appliqué : soyons anachroniques nous-mêmes. Oublions les vieilles lunettes nationales, elles datent un peu. Chaussons-en de nouvelles pour jouer à un jeu plus amusant : à nos yeux du xxi e siècle, selon les critères qui sont les nôtres aujourd’hui, que valent donc nos fameux rois ?
Philippe Auguste
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