Notre France, sa géographie, son histoire
irritables et capricieux, las de l'éternel passage des nations, ils ouvrent à
Abdérame, ils ferment à Roland ; il y a bien des tombeaux entre Roncevaux
et la Seu d'Urgel.
Ce n'est pas à l'historien qu'il appartient de décrire et d'expliquer
les Pyrénées. Elle est venue la science de Cuvier, d'Elie de Baumont pour
raconter cette histoire antéhistorique.
Ils y étaient eux, et moi je n'y étais pas, quand la nature improvisa
sa prodigieuse épopée géologique, quand la masse embrasée du globe souleva
l'axe des Pyrénées, quand les monts se fendirent, et que la terre, dans la
torture d'un titanique enfantement, poussa contre le ciel la noire et chauve Maladetta . Cependant une main consolante revêtit peu à peu les plaies de
la montagne de ces vertes prairies, qui font pâlir celles des Alpes. Les pics
s'émoussèrent et s'arrondirent en belles tours ; des masses inférieures
vinrent adoucir les pentes abruptes, en retardèrent la rapidité, et formèrent
du côté de la France cet escalier colossal dont chaque gradin est un mont.
Avec des pics moins élevés, dans leur continuité, les Pyrénées sont
plus hautes que les Alpes. Moins compliquées, elles imposent par leur
simplicité grandiose et de style sublime. Amphithéâtre gigantesque, étagé, il
semble, par la nature pour une grande fête, non pas olympiaque, non pas
séculaire, mais éternelle. Leur magie à ces monts, est dans la lumière, dans
les ardentes couleurs, dans les éclairs fantastiques dont les couronne, à toute
heure, ce monde âpre du Midi qu'ils cachent, qu'on voudrait voir.
Montons donc, non pas au Vignemale, non pas au Mont-Perdu 1 , mais seulement au port de Paillers, où les
eaux se partagent entre les deux mers, ou bien entre Bagnère et Barèges, entre
le beau et le sublime 2 . Là vous saisirez la fantastique
beauté des Pyrénées, ces sites étranges, incompatibles, réunis par une
inexplicable féerie, et cette atmosphère magique, qui tour à tour rapproche,
éloigne les objets ; ces gaves écumants ou vert d'eau, ces prairies
d'émeraude en contraste avec les ruines. Mais bientôt succède l'horreur sauvage
des grandes montagnes, qui se cachent derrière, comme un monstre sous un masque
de belle jeune fille.
N'importe, persistons, engageons-nous le long du gave de Pau, par ce
triste passage, à travers ces entassements infinis de blocs de trois et quatre
mille pieds cubes ; puis les rochers aigus, les neiges permanentes, puis
les détours du gave, battu, rembarré durement d'un mont à l'autre ; enfin
le prodigieux Cirque et ses tours dans le ciel. Au pied, douze sources
alimentent le gave, qui mugit sous des ponts de neige , et cependant
tombe de treize cents pieds, la plus haute cascade de l'ancien monde 3 .
Ici finit la France. Le port de Gavarnie, que vous voyez là-haut, ce
passage tempétueux, où, comme ils disent, le fils n'attend pas le père, c'est
la porte de l'Espagne. Une immense poésie historique plane sur cette limite des
deux mondes, où vous pourriez voir à votre choix, si le regard était assez
perçant, Toulouse ou Saragosse. Cette embrasure de trois cents pieds dans les
montagnes, Roland l'ouvrit en deux coups de sa durandal. C'est le symbole du
combat éternel de la France et de l'Espagne, qui n'est autre que celui de
l'Europe et de l'Afrique. Roland périt, mais la France a vaincu. Il consacre de
son tombeau la limite de la patrie. Grande comme la lutte, haute comme
l'héroïsme est la tombe du héros, son gigantesque tumulus ; ce sont les
Pyrénées elles-mêmes.
De la hauteur où nous sommes parvenus, comparez les deux
versants : combien le nôtre a l'avantage. Le versant espagnol, exposé au
midi, est tout autrement abrupte, sec et sauvage ; le français, en pente
douce, mieux ombragé, couvert de belles prairies, fournit à l'autre une grande
partie des bestiaux dont il a besoin. Barcelone vit de nos bœufs. Ce pays de
pâturages est obligé d'acheter nos troupeaux. Là, le beau ciel, et
l'indigence : ici, la brume et la pluie, mais le travail, l'intelligence,
la richesse et la liberté. Passez la frontière, comparez nos routes splendides
et leurs âpres sentiers. « Entre Jonquières et Perpignan, sans passer une
ville, une barrière, ou même une muraille, on entre dans un nouveau monde. Des
pauvres et misérables routes de la Catalogne, vous passez tout d'un coup sur
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