Notre France, sa géographie, son histoire
antiquités lui font pitié. Un Montmorency disait à l'un d'eux :
« Savez-vous que nous datons de mille ans ? — Et nous, dit le Basque,
nous ne datons plus. »
Serrés longtemps dans leurs roches par leurs ennemis, ces géants de la
montagne descendirent peu à peu parmi les petits hommes du Béarn, dans leurs
grosses capes rouges et chaussés de l'arbaca de crin, hommes, femmes, enfants,
troupeaux, s'avançant vers le Nord. Les Landes sont un vaste chemin. Ils
venaient réclamer leur part des belles provinces sur tant d'usurpateurs qui
s'étaient succédé. Au VII e siècle, dans la dissolution de l'empire
neustrien, cette race antique a renouvelé l'Aquitaine et l'a un moment
possédée.
Elle y a laissé pour souvenir le nom de Gascogne. Refoulée en Espagne
au IX e siècle, elle y fonda le royaume de Navarre, et en deux cents
ans, elle occupa tous les trônes chrétiens d'Espagne (Galice, Asturies et Léon,
Aragon, Castille). Mais la croisade espagnole poussant vers le Midi, les
Navarrois, isolés du théâtre de la gloire européenne, perdirent tout peu à
peu. Leur dernier roi, Sanche l' Enfermé , qui mourut d'un cancer, est le
vrai symbole des destinées de son peuple. Enfermée en effet dans ses montagnes
par des peuples puissants, rongée pour ainsi dire par les progrès de l'Espagne
et de la France, la Navarre implora même les musulmans d'Afrique, et finit par
se donner aux Français. Sanche anéantit son royaume en le léguant à son gendre
Thibault, comte de Champagne ; c'est Roland brisant sa durandal pour la
soustraire à l'ennemi. La maison de Barcelone, tige des rois d'Aragon et des
comtes de Foix, saisit la Navarre à son tour, la donna un instant aux Albret,
aux Bourbons, qui perdirent la Navarre pour gagner la France. Mais par un
petit-fils de Louis XIV, descendu de Henri IV, ils reprirent non seulement la
Navarre, mais l'Espagne entière. Ainsi se vérifia l'inscription mystérieuse du
château de Coaraze, où fut élevé Henri IV : Lo que a de ser no puede
faltar : « Ce qui doit être ne peut manquer. » Nos rois se
sont intitulés rois de France et de Navarre. C'est une belle expression des
origines primitives de la population française comme de la dynastie.
Les vieilles races, les races pures, les Celtes et les Basques, la
Bretagne et la Navarre, devaient céder aux races mixtes, la frontière au
centre, la nature à la civilisation. Les Pyrénées présentent partout cette
image du dépérissement de l'ancien monde. L'antiquité y a disparu ; le
moyen âge s'y meurt. Ces châteaux croulants, ces tours des Maures , ces
ossements des Templiers qu'on garde à Gavarnie, y figurent, d'une manière toute
significative, le monde qui s'en va. La montagne elle-même, semble aujourd'hui
attaquée dans son existence. Les cimes décharnées qui la couronnent témoignent
de sa caducité 6 . Ce n'est pas en vain
qu'elle est frappée de tant d'orages ; et d'en bas l'homme y aide. Cette
profonde ceinture de forêts qui couvraient la nudité de la vieille mère, il
l'arrache chaque jour. Les terres végétales, que le gramen retenait sur les
pentes, coulent en bas avec les eaux. Le rocher reste nu ; gercé, exfolié
par le chaud, par le froid, miné par la fonte des neiges, il est emporté par
les avalanches. Au lieu d'un riche pâturage, il reste un sol aride et
ruiné : le laboureur, qui a chassé le berger, n'y gagne rien lui-même. Les
eaux, qui filtraient doucement dans la vallée à travers le gazon et les forêts,
y tombent maintenant en torrents, et vont couvrir ses champs des ruines qu'il a
faites. Quantité de hameaux ont quitté les hautes vallées faute de bois de
chauffage, et reculé vers la France, fuyant leurs propres dévastations.
Dès 1673, on s'alarma. Il fut ordonné à chaque habitant de planter
tous les ans un arbre dans les forêts du domaine, deux dans les terrains
communaux. Des forestiers furent établis. En 1669, en 1756, et plus tard, de
nouveaux règlements attestèrent l'effroi qu'inspirait le progrès du mal. Mais à
la Révolution, toute barrière tomba ; la population pauvre commença
d'ensemble cette œuvre de destruction. Ils escaladèrent, le feu et la bêche en
main, jusqu'au nid des aigles, cultivèrent l'abîme, pendus à une corde.
Les arbres furent sacrifiés aux moindres usages ; on abattait
deux pins pour faire une paire de sabots 7
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