Notre France, sa géographie, son histoire
Mont-Blanc n'a pas à mi-côte ces grandes routes des nations où se
croisent éternellement la France, l'Allemagne, l'Italie. Le Mont-Cenis, le
Saint-Gothard sont les voies naturelles de toute vie animée. La forcla du
Prarion, la forcla de la Tète-Noire, du col du Bonhomme serrent au contraire et
ferment les vallées de Chamounix, de Saint-Gervais.
Ce solitaire, le Mont-Blanc, ne conduit à rien. Cependant, les jours
de grand marché à Sallenches, de tous ces pauvres villages échelonnés dans le
ravin, et de Saint-Nicolas, qui est en face, descend tout une avalanche,
hommes, femmes, enfants, conduisant devant eux leurs bêtes : vaches, oies,
moutons, petits porcs, etc. Ce serait le bon moment pour étudier cette
population savoyarde, la plus maltraitée de la nature, je parle de celle qui
vit sous les glaciers. Ce sont des rustres, en apparence, les os saillants, la
mâchoire carrée, le regard couvert. Mais sous les sourcils épais et bas, perce
la ruse. C'est le fond de l'esprit montagnard qui a servi de longue date, à se
défendre aux dépens de plus fort que soi.
Ceux qui viennent du côté opposé, du versant des prairies, beaucoup
plus ménagé, semblent d'une autre race. Ceux-ci sont les fins relativement, à
la fois naïfs et avisés, quelque chose d'aimable et de caressant. Presque
toutes les femmes, laides et vieilles de bonne heure par le dur travail au
dehors, sous l'âpre bise, font oublier leur laideur par un charme singulier de
bonté.
Tous vous saluent, vous disent « bonjour ou bonsoir » avec un
timbre de voix fort, presque musical, ce qu'on n'attendrait pas dans un pays où
l'air est neuf mois glacé.
Ce pauvre peuple de Savoie, si longtemps souffre-douleur du Piémont,
écrasé par les persécutions religieuses, les armées qui lui passaient sur le
dos pour atteindre l'ennemi, n'a pas moins gardé, à travers tant d'épreuves et
de larmes, l'indestructible gaieté de la France. Quand celle-ci, devenue
taciturne, perdit la voix, les airs, la petite musique nationale qu'elle
oubliait, sa sœur les reprit, les garda pour elle comme un viatique.
Vous l'entendez, la rustique chanson, sur les plus hautes prairies de
l'Alpe où la promène, l'été, le berger solitaire. Chant de ton naïf et juste,
plus que l' iaulement , l' alp-singer de la Suisse allemande.
Le canton de Vaud, qui touche à la France comme elle, ne chante plus.
Si, en septembre, vous entendez quelques rares chants dans les vignes, c'est
que le petit peuple de Savoie est là, il a passé le lac, s'est engagé pour
faire la vendange.
Comparez cependant les deux rives. Le côté suisse, inondé de lumière,
monte en amphithéâtre ses vignobles sobres en bois, en feuilles, d'autant plus
productifs. C'est la richesse. Sur l'autre rive, la fraîche Savoie, sous
ses ombrages, n'a que sa pauvreté poétique ; ses vignes lui donnent une
luxuriante moisson de feuilles, mais si peu de fruits !... La population
abritée, ici, de l'âpre vent des glaciers, n'a pas moins une pauvre mine, je ne
sais quoi qui attendrit. Grâce souffrante du petit Savoyard, de Fanchon la
vielleuse. La maigre récolte de châtaignes pourrait rendre pensif ; et
cependant, si loin que l'ouïe puisse porter, vous entendez retentir les
chants.
La France qui n'eut jamais, d'elle-même, des pensées de conquête, —
mieux vaut être aimé que posséder, — mais toujours voulut se donner ,
selon le beau mot d'Henri IV aux Béarnais, dispense aujourd'hui la Savoie de
quitter ses montagnes, de descendre en plaine, d'aller au loin gagner sa vie
dans des métiers obscurs. La sœur aînée est allée à sa petite sœur pour l'aider
à développer ses industries, lui ménager chez elle, après tant de siècles
de misère, la prospérité qui honore un peuple et le relève.
1 La Wallonne, la Savoyarde ; on peut dire aussi
l'Alsace qui, de cœur, nous reste fidèle.
XVIII
LA FRANCHE-COMTÉ
Mieux j'attends.
(Devise franc-comtoise.)
Par les plaines humides de la Bresse, ses prairies noyées de
brouillards, — une petite Hollande fièvreuse, — nous gagnerons l'air pur des
montagnes de la Franche-Comté. Celles-ci ne sont pas, comme les Alpes de Savoie
que nous venons de quitter, un massif, une forteresse grandiose bâtie des mains
de la nature. Vues de loin, de Lausanne par exemple, elles apparaissent comme
un sombre rideau uniformément tiré entre la
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