Notre France, sa géographie, son histoire
préférence chez nous prendre leurs femmes. A
partir du XIV e siècle, la Savoie, presque toujours, épousera la
France. Louis XI qui l'aimait de longue date comme voisine de son Dauphiné, lui
donna sa fille et sa sœur ; il en éleva les fils, les fit doublement
Français de mère et d'éducation.
Les destinées des deux pays, en bien, en mal, désormais se trouveront
sans cesse mêlées. La sœur d'Henri II, la fille d'Henri IV, la nièce de Louis
XIV, deviendront duchesses de Savoie et reines de Piémont. De son côté, la
Savoie nous enverra Louise, mère de François I er , la duchesse de
Bourgogne qui nous donnera Louis XV. Les deux filles d'Amédée III épouseront
les frères de Louis XVI, et le fils du roi de Piémont, la sœur du roi de
France.
Toutes ces alliances souveraines n'empêchèrent pas les guerres entre
les deux pays, mais le peuple ne s'y méprit pas, il n'accusa pas sa mère.
Lorsque les commissaires de la Convention, en 92, entrèrent à Chambéry
pour lui porter la délivrance, ils furent saisis d'étonnement, profondément
émus, en découvrant une France inconnue, une vieille France naïve qui, dans la
langue d'Henri IV, bégayait la Révolution. Le peuple tout entier était venu à
la rencontre, d'un élan spontané, d'un même transport de joie, de
reconnaissance.
La Savoie est tout une France. La diversité de ce peuple allobroge est
infinie. Il faudrait dire : Les Savoies . Comme esprits, vous y
rencontrerez les extrêmes : l'apôtre de la douceur, saint François de
Sales ; l'homme de la terreur blanche, Xavier de Maistre. Comme climat,
Annecy où vous retrouverez la pure ancienne France , dans certains
intérieurs négligés que je vois encore, vous donnera une Savoie presque
italienne. Les nombreux canaux qui font de l'intérieur de la ville, comme une
petite Venise, mettent dans l'air quelque chose de doux, de mou qui
ralentit.
Il y a là de la maremme. Rousseau la respira longtemps, en garda
toujours la grande impression. Mais il n'eût pas été Rousseau s'il n'eût été
transplanté à temps sous le souffle pur des Alpes, puis, jeté au loin par la
fatalité.
Ces mollesses italiennes ne sont pas heureusement la véritable
Savoie. Elle n'est pas non plus à Chamounix que tout le monde va voir, qui
n'est guère peuplé, aujourd'hui, que d'hôtels et guides oisifs tout
l'hiver.
La vraie Savoie, — peuple ardent sous un climat glacé, — est celle où
mène le cours de l'Arve en sortant de Genève ; en bas, Sallenches, en haut
Saint-Gervais. Il n'y faut pas arriver par un de ces rares jours qui parent
tout, qui donnent à tout un uniforme sourire, mais par un jour mi-bleu,
mi-ouaté, un jour légèrement gris, tel que ce pauvre pays, d'un climat
incertain, en a la plus grande partie de l'année. Alors on le voit tel
qu'il est, dans le bas mesquin et pauvre, écrasé des hauteurs qui semblent les
premiers gradins d'un sérieux amphithéâtre.
Les bains de Saint-Gervais sont aussi en bas, au fond d'une étroite
fente de la montagne. Dans les Pyrénées, à Vichy, à Bourbon, etc., toute eau
thermale est un dieu, le dieu Borbo, le dieu Gargo. En Savoie, ces dieux sont
des saints : saint Gervais, saint Protais. Le lieu est clos. Les sapins
planent en haut, les brouillards traînent en bas. Ainsi voilé, il semble plein
de mystères, de songes, d'illusions.
Ne vous y attardez pas. Montez plutôt au village, et, sans vous y
arrêter non plus, prenez, à l'autre extrémité, l'étroit chemin ombragé de
vénérables noyers qui datent, je crois, du temps où les ducs de Savoie allèrent
à Jérusalem. Ce sentier vous mènera à Contamines, aux glaciers. Le Mont-Blanc,
qui est derrière, laisse à peine entrevoir un sourcil bleuâtre. De loin, ce
fond apparaît noble et grand sans être grandiose. De près, rien de plus
mélancolique. Là vous êtes au cœur même du pauvre pays. Les villages, serrés
entre la route et les glaciers, n'ont eu d'autre place pour s'établir que
l'ancienne moraine. Ils sont toujours sous la menace des avalanches. La pauvre
culture, le maigre seigle semblent aussi bien aventurés. Mais c'est
l'impossible qui tente. La vallée, déjà si étroite, se resserre encore. C'est
par un long et étroit couloir que vous arrivez au pied de l'âpre et maigre col
du Bonhomme, le seul passage, de ce côté, entre la France et l'Italie.
Le
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