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Notre France, sa géographie, son histoire

Notre France, sa géographie, son histoire

Titel: Notre France, sa géographie, son histoire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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Suisse et la France.
    En réalité, une succession de murailles étagées de la base au sommet,
     laissant entre elles des tranchées profondes que barrent des mornes, que
     relient des plateaux servant de degrés pour atteindre le faite de la montagne,
     voilà le Jura.
    Tout cela bien sérieux, bien austère. C'est, si vous voulez, une
     petite Suisse en miniature avec ses lacs (Nantua, Saint-Point), ses champs de
     neiges à défaut de glaciers. Mais ce qui fait la vie de la Suisse, sa gaieté
     alpestre, manque au Jura. Il n'a pas comme elle, de tous côtés, et sous mille
     formes, des eaux qui courent et qui parlent. A part la grande voix des torrents
     qu'alimente la fonte des neiges, le Jura est silencieux. L'homme ayant
     imprudemment détruit les forêts intermédiaires, avec elles, ont disparu les
     sources vives qui font gazouiller les ruisseaux et jaser, à petit bruit, les
     fontaines. Les pluies tombent, mais elles ne s'arrêtent plus. Elles courent au
     Rhône toutes chargées des terres qu'elles emportent et s'en vont avec elles
     agrandir le delta de la Camargue. Pour les eaux qui s'accumulent au fond des
     entonnoirs profonds de l'amphithéâtre jurassique, les voilà immobilisées,
     muettes, Dieu sait pour combien d'années, combien de siècles 1 .
    La différence est grande aussi, entre la fortune des deux pays
     voisins. La première fois que je franchis la frontière par le désert aride de
     Pontarlier, — une Espagne pour la pauvreté du sol, — je fus blessé au cœur de
     voir nos paysans francs-comtois si nécessiteux, et tout à coup, en passant un
     ruisseau, les gens de la Suisse si bien vêtus, si aisés, visiblement
     heureux ! Je trouvais une population riche, non par la culture, mais par
     l'industrie 2 .
    Dans notre Franche-Comté plus agricole qu'industrielle, tout est
     précaire. La zone la mieux protégée n'est pas moins frappée par des gelées
     tardives. La vigne qui vient volontiers dans les terres salées, — le sel est
     répandu partout sur cette région de la France, — ne donne qu'une récolte en
     trois ou quatre ans. Le vigneron s'obstine pourtant, il patiente, il attend
     mieux .
    Si vous atteignez la région des plateaux, vous ne rencontrez guère
     plus qu'une terre indigente. Des prairies de lichen sur le roc, des landes où
     se dressent des touffes de buis, végétation rigide et triste, malgré le vernis
     dont se lustre le feuillage, quelques labours ingrats ; voilà le maigre
     tapis qui a remplacé le riche manteau des chênes et des hêtres 3 .
    Le haut Jura, seul, a conservé ses forêts. Les courageux lutteurs qui
     se sont accrochés, comme ils ont pu, aux pentes croulantes, pour en arrêter la
     ruine, y tiennent encore. Ce n'est plus le grand sapin blanc dont les longs
     bras, les longs peignes sombres et retombants, semblent couler au fond des
     ravins comme des larmes de bronze. Un autre montagnard plus robuste, le dur
     lutteur des Alpes, le picéa, l'a remplacé. Il fait à lui seul la grande œuvre,
     le vrai métier de la forêt. L'homme n'intervient que pour le détruire et
     compromettre ainsi la vie de la montagne.
    Le picéa, bien plus sobre que le sapin, sur ces hauteurs ne vit guère
     que d'air, de lumière, d'électricité, d'orages. Ils sont fréquents et parfois
     terribles dans le Jura. Il se plaît à braver ces tempêtes, il aime la lutte
     avec l'ouragan. Ses maigres racines, qui tiennent à peine au sol, sont pourtant
     peu faites pour lui résister. Ce n'est qu'en se groupant, en se pressant, en
     serrant leurs rangs, leurs légions que ces intrépides résineux se soutiennent
     entre eux et soutiennent aussi les pentes du Jura dont la roche, bien plus
     friable que celle des Alpes, sans eux, s'en irait en débris.
    Les associations fromagères du Jura qui ont tant occupé Fourier, se
     sont établies avec les troupeaux dans les clairières de la forêt. Chacun
     apporte son lait au fromage commun associant la mise et le profit. Cette
     propriété collective administrée par tous avec une défiante âpreté mérite à
     peine le nom d'associations. La race montagnarde, qui s'est peu mêlée aux
     autres races, garde encore son caractère primitif : grande circonspection,
     et grande défiance de l'homme pour l'homme.
    L'intérêt humain de la montagne est plus bas, dans la vie du
     laboureur, à la merci du caprice des saisons, aux prises avec une terre
     généralement ingrate qui lui donne, à peine, dans les bonnes

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