Notre France, sa géographie, son histoire
Suisse et la France.
En réalité, une succession de murailles étagées de la base au sommet,
laissant entre elles des tranchées profondes que barrent des mornes, que
relient des plateaux servant de degrés pour atteindre le faite de la montagne,
voilà le Jura.
Tout cela bien sérieux, bien austère. C'est, si vous voulez, une
petite Suisse en miniature avec ses lacs (Nantua, Saint-Point), ses champs de
neiges à défaut de glaciers. Mais ce qui fait la vie de la Suisse, sa gaieté
alpestre, manque au Jura. Il n'a pas comme elle, de tous côtés, et sous mille
formes, des eaux qui courent et qui parlent. A part la grande voix des torrents
qu'alimente la fonte des neiges, le Jura est silencieux. L'homme ayant
imprudemment détruit les forêts intermédiaires, avec elles, ont disparu les
sources vives qui font gazouiller les ruisseaux et jaser, à petit bruit, les
fontaines. Les pluies tombent, mais elles ne s'arrêtent plus. Elles courent au
Rhône toutes chargées des terres qu'elles emportent et s'en vont avec elles
agrandir le delta de la Camargue. Pour les eaux qui s'accumulent au fond des
entonnoirs profonds de l'amphithéâtre jurassique, les voilà immobilisées,
muettes, Dieu sait pour combien d'années, combien de siècles 1 .
La différence est grande aussi, entre la fortune des deux pays
voisins. La première fois que je franchis la frontière par le désert aride de
Pontarlier, — une Espagne pour la pauvreté du sol, — je fus blessé au cœur de
voir nos paysans francs-comtois si nécessiteux, et tout à coup, en passant un
ruisseau, les gens de la Suisse si bien vêtus, si aisés, visiblement
heureux ! Je trouvais une population riche, non par la culture, mais par
l'industrie 2 .
Dans notre Franche-Comté plus agricole qu'industrielle, tout est
précaire. La zone la mieux protégée n'est pas moins frappée par des gelées
tardives. La vigne qui vient volontiers dans les terres salées, — le sel est
répandu partout sur cette région de la France, — ne donne qu'une récolte en
trois ou quatre ans. Le vigneron s'obstine pourtant, il patiente, il attend
mieux .
Si vous atteignez la région des plateaux, vous ne rencontrez guère
plus qu'une terre indigente. Des prairies de lichen sur le roc, des landes où
se dressent des touffes de buis, végétation rigide et triste, malgré le vernis
dont se lustre le feuillage, quelques labours ingrats ; voilà le maigre
tapis qui a remplacé le riche manteau des chênes et des hêtres 3 .
Le haut Jura, seul, a conservé ses forêts. Les courageux lutteurs qui
se sont accrochés, comme ils ont pu, aux pentes croulantes, pour en arrêter la
ruine, y tiennent encore. Ce n'est plus le grand sapin blanc dont les longs
bras, les longs peignes sombres et retombants, semblent couler au fond des
ravins comme des larmes de bronze. Un autre montagnard plus robuste, le dur
lutteur des Alpes, le picéa, l'a remplacé. Il fait à lui seul la grande œuvre,
le vrai métier de la forêt. L'homme n'intervient que pour le détruire et
compromettre ainsi la vie de la montagne.
Le picéa, bien plus sobre que le sapin, sur ces hauteurs ne vit guère
que d'air, de lumière, d'électricité, d'orages. Ils sont fréquents et parfois
terribles dans le Jura. Il se plaît à braver ces tempêtes, il aime la lutte
avec l'ouragan. Ses maigres racines, qui tiennent à peine au sol, sont pourtant
peu faites pour lui résister. Ce n'est qu'en se groupant, en se pressant, en
serrant leurs rangs, leurs légions que ces intrépides résineux se soutiennent
entre eux et soutiennent aussi les pentes du Jura dont la roche, bien plus
friable que celle des Alpes, sans eux, s'en irait en débris.
Les associations fromagères du Jura qui ont tant occupé Fourier, se
sont établies avec les troupeaux dans les clairières de la forêt. Chacun
apporte son lait au fromage commun associant la mise et le profit. Cette
propriété collective administrée par tous avec une défiante âpreté mérite à
peine le nom d'associations. La race montagnarde, qui s'est peu mêlée aux
autres races, garde encore son caractère primitif : grande circonspection,
et grande défiance de l'homme pour l'homme.
L'intérêt humain de la montagne est plus bas, dans la vie du
laboureur, à la merci du caprice des saisons, aux prises avec une terre
généralement ingrate qui lui donne, à peine, dans les bonnes
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