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Notre France, sa géographie, son histoire

Notre France, sa géographie, son histoire

Titel: Notre France, sa géographie, son histoire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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tout l'empire grec, qui
     reculait devant les Arabes ou les Turcs. Cette population n'avait ni champs ni
     terres, rien que ses bras et son Rhône ; elle fut industrielle et
     commerçante. L'industrie y avait commencé dès les Romains. Nous avons des
     inscriptions tumulaires : A la mémoire d'un vitrier africain ,
     habitant de Lyon. A la mémoire d'un vétéran des légions, marchand de
     papier . Cette fourmilière laborieuse, enfermée entre les rochers et la
     rivière, entassée dans les rues sombres qui y descendent, sous la pluie et
     l'éternel brouillard, elle eut sa vie morale pourtant et sa poésie. Ainsi,
     notre maître Adam, le menuisier de Nevers, ainsi les meistersaenger de
     Nuremberg et de Francfort, tonneliers, serruriers, forgerons, aujourd'hui
     encore le ferblantier de Nuremberg. Ils rêvèrent dans leurs cités obscures la
     nature qu'ils ne voyaient pas, et ce beau soleil qui leur était envié. Ils
     martelèrent dans leurs noirs ateliers des idylles sur les champs, les oiseaux
     et les fleurs. A Lyon, l'inspiration poétique ne fut point la nature mais
     l'amour ; plus d'une jeune marchande, pensive dans le demi-jour de
     l'arrière-boutique, écrivit, comme Louise Labbé, comme Pernette Guillet, des
     vers pleins de tristesse et de passion.
    L'amour de Dieu, il faut le dire, et le plus doux mysticisme, fut
     encore un caractère lyonnais. Saint Pothin et saint Irénée de Smyrne et de
     Pathmos, apportent à Lyon le verbe du Christ, verbe mystique, verbe d'amour qui
     propose à l'homme fatigué de se reposer, de s'endormir en Dieu.
    C'est à Lyon que, dans les derniers temps, saint Martin, l' homme du
     désir , établit son école. Celui que l'Église réclame pour l'auteur de
     l' Imitation , Jean Gerson, voulut y mourir 2 .
    C'est une chose bizarre et contradictoire en apparence que le
     mysticisme ait aimé à naître dans ces grandes cités industrielles, comme
     aujourd'hui Lyon et Strasbourg 3 . Mais c'est que nulle part le cœur
     de l'homme n'a plus besoin du ciel.
    Pour comprendre Lyon, il faut le regarder du plus haut, du sommet de
     Fourvières, voyant venir à soi la montagne opposée, sombre, noire en bas, sous
     les cyprès étouffés de son Jardin des Plantes, en haut, colossale dans son
     entassement de maisons d'ouvriers qui présentent douze ou quinze étages. Malgré
     le génie pacifique de la Saône, cette pointe de la France à l'Est, la tête de
     route vers les Alpes ou la Provence, a toujours été le confluent des peuples,
     un asile de mécontents, parfois un nid d'hérétiques. Aujourd'hui, la guerre
     intérieure de Lyon est entre les deux montagnes, entre la Croix-Rousse et
     Fourvières.
    La vie sédentaire aussi de l'artisan, assis à son métier, favorise
     cette fermentation intérieure de l'âme. L'ouvrier en soie, dans l'humide
     obscurité des rues de Lyon, le tisserand d'Artois et de Flandre, dans la cave
     où il vivait, se créèrent un monde, un paradis moral de doux songes et de
     visions ; en dédommagement de la nature qui leur manquait, ils se
     donnèrent Dieu. Aucune classe d'hommes n'alimenta de plus de victimes les
     bûchers du moyen âge. Les Vaudois d'Arras eurent leurs martyrs, comme ceux de
     Lyon. Ceux-ci, disciples du marchand Valdo, Vaudois ou pauvres de Lyon, comme
     on les appelait, tâchaient de revenir aux premiers jours de l'Evangile. Ils
     donnaient l'exemple d'une touchante fraternité ; et cette union des cœurs
     ne tenait pas uniquement à la communauté des opinions religieuses. Longtemps
     après les Vaudois, nous trouvons à Lyon des contrats où deux amis s'adoptent
     l'un l'autre, et mettent en commun leur fortune et leur vie.
    Ce mot du moyen âge : Les pauvres de Lyon , a commencé le
     mouvement moderne dès le douzième siècle. Il y a indigence partout ; ici,
     la pauvreté, la misère, sentie et comprise.
    Lyon, ville secondaire en apparence, a toujours été une ville commune
     à tous. C'était au quinzième siècle une république marchande dont les
     privilèges couvraient tout le monde, une patrie pour le Suisse, le Savoyard,
     l'Allemand, l'Italien, autant que pour le Français. Ces fleuves, les voies du
     genre humain, apparaissent comme apportant à la ville les flots de l'émigration
     pauvre.
    On sait l'arrivée de Rousseau à Lyon, quand, jeune homme de seize ans,
     encore inconnu et si pauvre ! il dormit délicieusement sous l'abri d'un
     rocher aux portes de la ville, sans avoir même en

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