Notre France, sa géographie, son histoire
tout l'empire grec, qui
reculait devant les Arabes ou les Turcs. Cette population n'avait ni champs ni
terres, rien que ses bras et son Rhône ; elle fut industrielle et
commerçante. L'industrie y avait commencé dès les Romains. Nous avons des
inscriptions tumulaires : A la mémoire d'un vitrier africain ,
habitant de Lyon. A la mémoire d'un vétéran des légions, marchand de
papier . Cette fourmilière laborieuse, enfermée entre les rochers et la
rivière, entassée dans les rues sombres qui y descendent, sous la pluie et
l'éternel brouillard, elle eut sa vie morale pourtant et sa poésie. Ainsi,
notre maître Adam, le menuisier de Nevers, ainsi les meistersaenger de
Nuremberg et de Francfort, tonneliers, serruriers, forgerons, aujourd'hui
encore le ferblantier de Nuremberg. Ils rêvèrent dans leurs cités obscures la
nature qu'ils ne voyaient pas, et ce beau soleil qui leur était envié. Ils
martelèrent dans leurs noirs ateliers des idylles sur les champs, les oiseaux
et les fleurs. A Lyon, l'inspiration poétique ne fut point la nature mais
l'amour ; plus d'une jeune marchande, pensive dans le demi-jour de
l'arrière-boutique, écrivit, comme Louise Labbé, comme Pernette Guillet, des
vers pleins de tristesse et de passion.
L'amour de Dieu, il faut le dire, et le plus doux mysticisme, fut
encore un caractère lyonnais. Saint Pothin et saint Irénée de Smyrne et de
Pathmos, apportent à Lyon le verbe du Christ, verbe mystique, verbe d'amour qui
propose à l'homme fatigué de se reposer, de s'endormir en Dieu.
C'est à Lyon que, dans les derniers temps, saint Martin, l' homme du
désir , établit son école. Celui que l'Église réclame pour l'auteur de
l' Imitation , Jean Gerson, voulut y mourir 2 .
C'est une chose bizarre et contradictoire en apparence que le
mysticisme ait aimé à naître dans ces grandes cités industrielles, comme
aujourd'hui Lyon et Strasbourg 3 . Mais c'est que nulle part le cœur
de l'homme n'a plus besoin du ciel.
Pour comprendre Lyon, il faut le regarder du plus haut, du sommet de
Fourvières, voyant venir à soi la montagne opposée, sombre, noire en bas, sous
les cyprès étouffés de son Jardin des Plantes, en haut, colossale dans son
entassement de maisons d'ouvriers qui présentent douze ou quinze étages. Malgré
le génie pacifique de la Saône, cette pointe de la France à l'Est, la tête de
route vers les Alpes ou la Provence, a toujours été le confluent des peuples,
un asile de mécontents, parfois un nid d'hérétiques. Aujourd'hui, la guerre
intérieure de Lyon est entre les deux montagnes, entre la Croix-Rousse et
Fourvières.
La vie sédentaire aussi de l'artisan, assis à son métier, favorise
cette fermentation intérieure de l'âme. L'ouvrier en soie, dans l'humide
obscurité des rues de Lyon, le tisserand d'Artois et de Flandre, dans la cave
où il vivait, se créèrent un monde, un paradis moral de doux songes et de
visions ; en dédommagement de la nature qui leur manquait, ils se
donnèrent Dieu. Aucune classe d'hommes n'alimenta de plus de victimes les
bûchers du moyen âge. Les Vaudois d'Arras eurent leurs martyrs, comme ceux de
Lyon. Ceux-ci, disciples du marchand Valdo, Vaudois ou pauvres de Lyon, comme
on les appelait, tâchaient de revenir aux premiers jours de l'Evangile. Ils
donnaient l'exemple d'une touchante fraternité ; et cette union des cœurs
ne tenait pas uniquement à la communauté des opinions religieuses. Longtemps
après les Vaudois, nous trouvons à Lyon des contrats où deux amis s'adoptent
l'un l'autre, et mettent en commun leur fortune et leur vie.
Ce mot du moyen âge : Les pauvres de Lyon , a commencé le
mouvement moderne dès le douzième siècle. Il y a indigence partout ; ici,
la pauvreté, la misère, sentie et comprise.
Lyon, ville secondaire en apparence, a toujours été une ville commune
à tous. C'était au quinzième siècle une république marchande dont les
privilèges couvraient tout le monde, une patrie pour le Suisse, le Savoyard,
l'Allemand, l'Italien, autant que pour le Français. Ces fleuves, les voies du
genre humain, apparaissent comme apportant à la ville les flots de l'émigration
pauvre.
On sait l'arrivée de Rousseau à Lyon, quand, jeune homme de seize ans,
encore inconnu et si pauvre ! il dormit délicieusement sous l'abri d'un
rocher aux portes de la ville, sans avoir même en
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