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Notre France, sa géographie, son histoire

Notre France, sa géographie, son histoire

Titel: Notre France, sa géographie, son histoire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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grandeur ; des
     collines médiocres toutes recouvertes de petits chênes. Généralement un rideau
     vert sombre sur des schistes brunâtres ou tristement vêtus de bruyères et de
     lichens. Je me figure que telle était la France primitive, avant qu'elle eût
     acquis tant de végétaux étrangers. Pays froid, uniforme et sauvage que le
     passant trouve laid et que sa monotone tristesse pare d'un charme attendrissant
     pour celui qui y est né.
    De loin en loin, fument ces mousses, ces pâles bruyères ; ou
     bien, ce sont les grands feux des charbonnières dont la flamme projette, dans
     la nuit sombre, sur l'austère paysage, de fantastiques lueurs.
    Parfois à l'aube, — de la clairière où paissent les moutons, — part un
     petit chant rustique qui trouble à peine le silence profond des bois encore
     endormis.
    Aimable, léger filet de voix, chant d'oiseau que vous entendrez tout
     le long de la Meuse.....
    Ce fut la vraie voix de la France, la voix même de la
     liberté......
    Et sans la liberté, qui eût chanté sous ce climat sévère, dans ce pays
     sérieux ? Seule elle pouvait peupler ces tristes clairières des Ardennes.
     Liberté des personnes, ou du moins servage adouci ; vastes libertés des
     pâtures, immenses communaux.
    La question dominante des marches d'Ardennes, est celle des communaux,
     des trente-deux communes léguées au pays par le sire d'Orchimont, marquis de
     Montcornet.
    Les possesseurs de ces biens communaux défendent vigoureusement leurs
     droits. Cet âpre pays de Couvin, Revin, Fumay, c'est encore la sauvage
     Ostrasie. Bien imprudent celui qui toucherait à ses privilèges.
     
    Il faut voir au delà de Givet, le Trou-du-Han, la noire caverne dont
     l'étang sinistre garde tout ce qu'il engloutit ; et près de Renwey, le
     château de Montcornet, véritable colysée féodal. Dans les Ardennes les ruines
     sont rares. L'esprit royalement démocratique des Richelieu, des Mazarin a tout
     soigneusement nivelé ; les châteaux ont été démolis, les pierres
     emportées, si l'on eût pu on aurait tué leurs ombres. Montcornet a échappé dans
     la profondeur de ses bois ; la position, d'ailleurs, n'était pas
     militaire. L'oblique et louche fenêtre, encore debout, vous regarde passer.
    Il faut aussi s'enfoncer dans les solitudes de Layfour, profondes à
     vous rendre fol ; il faut visiter les noirs rochers de la Dame de Meuse,
     la table de l'enchanteur Maugis, l'ineffaçable empreinte que laissa dans le roc
     le pied du cheval de Renaud. Les quatre fils Aymon sont à Château-Renaud comme
     à Uzès, aux Ardennes comme en Languedoc. Je vois encore la fileuse qui, pendant
     son travail, tient sur les genoux le précieux volume de la Bibliothèque bleue,
     le livre héréditaire, usé, noirci dans la veillée.
    Là se lit comment le bon Renaud joua maint tour à Charlemagne, comment
     il eut pourtant bonne fin, s'étant fait humblement de chevalier maçon, et
     portant sur son dos des blocs énormes pour bâtir la sainte église de
     Cologne.
    Ce sombre pays d'Ardennes, son inconnu mystérieux est tout autre chose
     que la Champagne.
    Il appartient à l'évêché de Metz, au bassin de la Meuse, au vieux
     royaume d'Ostrasie. Quand vous avez passé les blanches et blafardes campagnes
     qui s'étendent de Reims à Rethel, la Champagne est finie, les bois commencent,
     les petits moutons des Ardennes. La craie a disparu ; le rouge mat de la
     tuile fait place au sombre éclat de l'ardoise ; les maisons s'enduisent de
     limaille de fer 3 . Manufactures d'armes,
     tanneries, ardoisières, tout cela n'égaye pas le pays. Mais la race est
     distinguée par quelque chose d'intelligent, de sobre, d'économe ; la
     figure un peu sèche, et taillée à vives arrêtes. Ce caractère de sécheresse et
     de sévérité n'est point particulier à la petite Genève de Sedan (l'esprit de
     Charleville et de Sedan ressemble plutôt à la Lorraine), il est partout le
     même. L'habitant est sérieux. L'esprit critique domine. C'est l'ordinaire chez
     les gens qui sentent qu'ils valent mieux que leur fortune. Le pays n'est pas
     riche, et l'ennemi à deux pas ; cela donne à penser.
    C'était aussi, autrefois, un lieu de passage pour les armées. Lorsque
     le duc de Bourgogne devenu en dix ans maître du Limbourg, du Brabant et de
     Namur, se trouva être le concurrent des Liégeois et des Dinantais pour les
     houilles et les fers, les draps et les cuivres, et qu'il résolut de

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