Notre France, sa géographie, son histoire
grandeur ; des
collines médiocres toutes recouvertes de petits chênes. Généralement un rideau
vert sombre sur des schistes brunâtres ou tristement vêtus de bruyères et de
lichens. Je me figure que telle était la France primitive, avant qu'elle eût
acquis tant de végétaux étrangers. Pays froid, uniforme et sauvage que le
passant trouve laid et que sa monotone tristesse pare d'un charme attendrissant
pour celui qui y est né.
De loin en loin, fument ces mousses, ces pâles bruyères ; ou
bien, ce sont les grands feux des charbonnières dont la flamme projette, dans
la nuit sombre, sur l'austère paysage, de fantastiques lueurs.
Parfois à l'aube, — de la clairière où paissent les moutons, — part un
petit chant rustique qui trouble à peine le silence profond des bois encore
endormis.
Aimable, léger filet de voix, chant d'oiseau que vous entendrez tout
le long de la Meuse.....
Ce fut la vraie voix de la France, la voix même de la
liberté......
Et sans la liberté, qui eût chanté sous ce climat sévère, dans ce pays
sérieux ? Seule elle pouvait peupler ces tristes clairières des Ardennes.
Liberté des personnes, ou du moins servage adouci ; vastes libertés des
pâtures, immenses communaux.
La question dominante des marches d'Ardennes, est celle des communaux,
des trente-deux communes léguées au pays par le sire d'Orchimont, marquis de
Montcornet.
Les possesseurs de ces biens communaux défendent vigoureusement leurs
droits. Cet âpre pays de Couvin, Revin, Fumay, c'est encore la sauvage
Ostrasie. Bien imprudent celui qui toucherait à ses privilèges.
Il faut voir au delà de Givet, le Trou-du-Han, la noire caverne dont
l'étang sinistre garde tout ce qu'il engloutit ; et près de Renwey, le
château de Montcornet, véritable colysée féodal. Dans les Ardennes les ruines
sont rares. L'esprit royalement démocratique des Richelieu, des Mazarin a tout
soigneusement nivelé ; les châteaux ont été démolis, les pierres
emportées, si l'on eût pu on aurait tué leurs ombres. Montcornet a échappé dans
la profondeur de ses bois ; la position, d'ailleurs, n'était pas
militaire. L'oblique et louche fenêtre, encore debout, vous regarde passer.
Il faut aussi s'enfoncer dans les solitudes de Layfour, profondes à
vous rendre fol ; il faut visiter les noirs rochers de la Dame de Meuse,
la table de l'enchanteur Maugis, l'ineffaçable empreinte que laissa dans le roc
le pied du cheval de Renaud. Les quatre fils Aymon sont à Château-Renaud comme
à Uzès, aux Ardennes comme en Languedoc. Je vois encore la fileuse qui, pendant
son travail, tient sur les genoux le précieux volume de la Bibliothèque bleue,
le livre héréditaire, usé, noirci dans la veillée.
Là se lit comment le bon Renaud joua maint tour à Charlemagne, comment
il eut pourtant bonne fin, s'étant fait humblement de chevalier maçon, et
portant sur son dos des blocs énormes pour bâtir la sainte église de
Cologne.
Ce sombre pays d'Ardennes, son inconnu mystérieux est tout autre chose
que la Champagne.
Il appartient à l'évêché de Metz, au bassin de la Meuse, au vieux
royaume d'Ostrasie. Quand vous avez passé les blanches et blafardes campagnes
qui s'étendent de Reims à Rethel, la Champagne est finie, les bois commencent,
les petits moutons des Ardennes. La craie a disparu ; le rouge mat de la
tuile fait place au sombre éclat de l'ardoise ; les maisons s'enduisent de
limaille de fer 3 . Manufactures d'armes,
tanneries, ardoisières, tout cela n'égaye pas le pays. Mais la race est
distinguée par quelque chose d'intelligent, de sobre, d'économe ; la
figure un peu sèche, et taillée à vives arrêtes. Ce caractère de sécheresse et
de sévérité n'est point particulier à la petite Genève de Sedan (l'esprit de
Charleville et de Sedan ressemble plutôt à la Lorraine), il est partout le
même. L'habitant est sérieux. L'esprit critique domine. C'est l'ordinaire chez
les gens qui sentent qu'ils valent mieux que leur fortune. Le pays n'est pas
riche, et l'ennemi à deux pas ; cela donne à penser.
C'était aussi, autrefois, un lieu de passage pour les armées. Lorsque
le duc de Bourgogne devenu en dix ans maître du Limbourg, du Brabant et de
Namur, se trouva être le concurrent des Liégeois et des Dinantais pour les
houilles et les fers, les draps et les cuivres, et qu'il résolut de
Weitere Kostenlose Bücher