Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
Gieves, payées en
liquide, fut chiffonnée avant d’être fourrée dans une poche. Bill Martin
transporterait de l’argent liquide lors de son dernier voyage : un billet
de 5 livres, trois billets de 1 livre et un peu de monnaie. Les numéros
des billets de banque ont été scrupuleusement notés. Comme pour tout l’argent
qui pourrait être remis à l’ennemi ou reçu de l’ennemi, la monnaie était
surveillée au cas où elle réapparaîtrait à un endroit intéressant. Si l’argent
disparaissait après l’arrivée du corps en Espagne, cela prouverait que les
vêtements avaient été fouillés.
Rien n’était laissé au hasard. Tout ce qui accompagnait le
corps était minutieusement inspecté pour vérifier que cela corroborait le
récit, en supposant que les Allemands feraient tout leur possible « pour
trouver une faille dans le maquillage du major Martin ». Et pourtant, il
manquait quelque chose dans la vie de Martin. C’est Joan Saunders qui le fit
remarquer : il n’avait pas de vie amoureuse. Bill Martin devait tomber
amoureux. « Nous décidâmes qu’un “mariage serait arrangé” entre Bill
Martin et une fille juste avant qu’il ne soit envoyé à l’étranger »,
écrivit Montagu. Même s’il mentionnait nonchalamment « une fille »,
Montagu savait parfaitement de quelle fille il s’agirait.
7
Pam
Jean Leslie avait dix-huit ans à peine, en 1941, lorsqu’elle
rejoignit la section chargée du contre-espionnage et des agents doubles au MI5.
Avec sa peau d’albâtre et ses cheveux châtains ondulés, Jean était très belle,
dotée d’un charme très britannique. Elle avait quitté l’école à dix-sept ans,
puis ses parents, appartenant à la haute bourgeoisie, lui avaient inculqué les
aptitudes classiques de la parfaite jeune fille : la dactylographie, le
secrétariat et les bals des débutantes. Mais elle était beaucoup plus
intelligente qu’on aurait pu le croire. Elle était trop intelligente au goût de
sa mère devenue veuve. « Qu’allons-nous bien pouvoir faire de
Jean ? » s’inquiétait-elle. Un ami de la famille suggéra qu’elle
trouve un travail au War Office (ex-ministère de la Défense). Quelques semaines
plus tard, Jean signait l’Official Secrets Act (loi relative aux secrets
d’État), puis plongea dans les méandres de l’administration chargée de la
paperasse top secret du MI5. Dans un premier temps, elle travailla à la section
B1B qui collectait, classait et analysait les messages Ultra déchiffrés, les
messages de l’Abwehr et divers renseignements exploités par les agents doubles
du système Double Cross. Elle adorait son travail.
Le secrétariat était dirigé par un dragon à la langue de
vipère nommé Hester Leggett, qui exigeait de ses « filles » une
obéissance absolue et une efficacité à toute épreuve. Le travail de Jean
consistait à trier les « périls jaunes », c’est-à-dire les copies
carbone jaunes des interrogatoires du Camp 020, le centre d’internement de
Richmond, près de Londres, où tous les espions étaient passés au gril. Elle
pouvait lire les comptes rendus des espions arrêtés pour essayer de repérer
tout ce qui nécessitait l’attention de ses supérieurs (mâles). C’est Jean
Leslie qui repéra les « incohérences criantes » dans la confession
d’un certain Johannes de Graaf, un agent belge. Par la suite, il fut découvert
que de Graaf jouait un triple jeu. Jean fût très contente d’elle, mais elle
s’affola quand il apparut que de Graaf risquait d’être exécuté.
L’équipe de secrétariat, entièrement féminine, fut surnommée
« Les castors », et le castor le plus travailleur était la jeune Jean
Leslie. « J’étais toujours prête à aider. Je courais partout. J’avais tellement
envie de plaire. » Hester Leggett, cruellement surnommée « The
Spin » (la vieille fille), la réprimandait constamment parce qu’elle
sprintait dans les bureaux silencieux de St James’s Street. « Ne courez
pas, Miss Leslie ! »
Cette belle jeune femme pressée attira le regard d’Ewen
Montagu. Jean ne pouvait pas ne pas remarquer que le beau et gentil officier,
de quelques années son aîné, faisait plus particulièrement attention à elle.
« En fait, il me draguait un peu. Il était même un peu amoureux. »
C’était exact : les récits officiels et non officiels de Montagu la
décrivent indifféremment comme étant « charmante », « très
séduisante »
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